Polar

Frédéric Paulin

La guerre est une ruse

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

2015. Le terrorisme islamiste frappe Paris, la France, les Français. Et c’est comme si personne n’avait imaginé de telles attaques possibles, comme si elles venaient de nulle part. Or elles viennent du passé, notre passé. Des heures sombres de l’Histoire. C’est elles que Frédéric Paulin interroge dans La guerre est une ruse.

Constantine, 1992. L’Algérie est en proie à une guerre civile qui oppose les militaires au pouvoir à des groupes islamiques armés qui sèment la terreur par des opérations d’une extrême violence. Au milieu de ce monstrueux jeu politique, quelques agents de la DGSE tentent de comprendre qui manipule qui pour donner à la diplomatie française des éléments indispensables pour poursuivre ses relations avec son ancienne colonie. Parmi eux, le lieutenant Tedj Benlazar et son chef Rémy Bellevue, deux hommes qui cherchent la vérité sans pouvoir toujours l’affronter. Deux hommes qui, au fil des investigations de Tedj dans les geôles du régime et auprès des groupes armés, vont comprendre que les exactions du GIA contribuent à maintenir les militaires au pouvoir et obligent la France à soutenir les généraux, tel un « prix à payer pour éradiquer le terrorisme ». Mais ce que va découvrir Tedj, c’est aussi que cette stratégie de la terreur doit – et va bientôt – toucher la France (et plus largement l’Occident) en son cœur. Mais qui pour croire Tedj, à part Bellevue ? Qui pour faire confiance aux informations tellement incroyables que rapporte celui qui a toujours été une sorte d’électron libre, brisé de l’intérieur par une succession de drames ? Qui pour faire remonter aux décideurs politiques les conclusions de ceux qui, bien que risquant leur vie, ne sont que de « simple[s] pion[s] posé[s] sur l’échiquier, servant une tactique de jeu qui le[s] dépasse[nt] » ? L’incrédulité dédaigneuse des collègues de Tedj va permettre que la violence et la haine se déplacent vers la France, se nourrissent d’autres conflits (en Yougoslavie, en Afghanistan) et ramènent sur le sol français des armes, une idéologie et des techniques de guerre qui trouveront leur apogée quelques années plus tard. Avec La guerre est une ruse, Frédéric Paulin débute un extraordinaire triptyque qui conduira le lecteur jusqu’en novembre 2015, en passant par le 11 septembre. Mais le cœur de ses romans est moins dans ces tragédies meurtrières que dans tous les événements, données et circonstances ignorés, indéchiffrables ou même volontairement cachés et que la fiction permet de mettre en lumière et en perspective. Avec des personnages complexes et magnifiques, avec un subtil équilibre entre éléments réels et intrigue romanesque, La guerre est une ruse est, à n’en pas douter, un roman incontournable et inoubliable. Les deux autres volumes du triptyque, Prémices de la chute et La Fabrique de la terreur, sont tout aussi brillants et déjà disponibles chez Agullo.

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