Littérature étrangère

Wu Ming 4

L’Étoile du matin

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

De Lawrence d’Arabie, on connaît généralement le prodige cinématographique relatant son épopée et dont le personnage est incarné par Peter O’Toole et, éventuellement, son livre Les Sept piliers de la sagesse. L’Étoile du matin nous fait découvrir un homme en quête de rédemption.

Oxford, automne 1919. Une année s’est écoulée depuis la fin des combats de la Première Guerre mondiale. Une année pendant laquelle des millions de jeunes hommes rescapés des tranchées ont tenté de reprendre une vie normale, notamment dans la mythique université d’Oxford. Parmi eux, le poète Robert Graves, les futurs grands écrivains C. S. Lewis (Le Monde de Narnia) et J. R. R. Tolkien (Le Seigneur des anneaux), et le déjà très célèbre aventurier T. E. Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie. Ils vont se croiser, se rencontrer, se parler, se manquer… mais tous quatre pressentent que leur existence, leur survie même, est liée aux mots, à ceux qu’ils vont écrire, à ceux qui leur permettront de faire taire les souvenirs et de revenir à la vie. Au centre du roman, l’écriture est sans cesse questionnée : dans les cours sur la Poétique d’Aristote du prestigieux College, dans l’écriture contrainte de Lawrence (qui veut briser le mythe construit autour de lui et de sa guerre au Moyen-Orient, et lui donner un sens pour qu’elle n’ait pas été tout à fait inutile), dans l’écriture (rejetée par Tolkien hanté par ses amis morts avec lesquels il partageait ses premiers « contes »)... L’Étoile du matin est de ces romans qui questionnent des figures trop connues et qui, en les éclairant d’un jour nouveau, les rendent à leur humanité complexe, jusque-là gommée par le mythe. Pour le collectif Wu Ming (quartet d’artistes-activistes italiens auquel appartient l’auteur du roman), entre mythification et mystification, il n’y a qu’un pas souvent franchi, en art comme dans la vie de la cité. Leurs œuvres communes ou personnelles tentent toujours de donner du sens aux mythes qu’ils déconstruisent. « Refaire le monde en le racontant », c’est ainsi que S. Quadruppani, l’un de leurs traducteurs, résumait il y a quelques années leur projet. Wu Ming 4 parvient mieux que jamais dans ce nouveau roman, à la fois épique, intime, littéraire et politique, à jouer sur différents plans narratifs.

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