Littérature française

Briser le silence

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Par Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

D’ex-Yougoslavie en Israël, Hubert Mingarelli et Antoine Choplin cisèlent deux histoires d’hommes, d’amour, de haine, de peur, de guerre et de mort. Loin des discours bruyants, ils n’ont besoin que de leurs mots choisis et de leurs silences pour nous bouleverser.

Amis dans la vie, frères en écriture, Hubert Mingarelli et Antoine Choplin se sont lancés dans une aventure à quatre mains. L’Incendie est un roman épistolaire dans lequel Jovan et Pavle, deux amis d’enfance, évoquent leurs récentes retrouvailles au terme d’une longue séparation. Après quelques banalités qui retardent le moment de se parler vraiment, ils reviennent sur la nuit où les flammes ont envahi le ciel noir, sur la petite maison qui semble maintenant s’enfoncer dans la forêt, sur cet événement avec lequel ils se sont « arrangés » jusque-là pour essayer de vivre, mais qu’ils ne peuvent oublier. En mettant des mots sur cette blessure, en révélant leurs secrets, en tentant de partager leurs culpabilités, ils mettent en péril leur fragile équilibre, avec l’espoir qu’enfin le passé cesse de les hanter. Stepan, le personnage principal de La Route de Beit Zera (roman solo de Mingarelli), est lui aussi un homme du silence. Il vit seul avec une chienne impotente et le souvenir de son fils. Yankel a dû fuir à l’étranger, parce qu’une nuit il a tué un homme, explosion mortifère d’une peur aveugle et silencieuse née d’un monde empreint de haine de l’autre. En contrepoint, l’histoire de Stepan, de sa chienne et du petit garçon qui vient leur rendre visite, semble évoquer ce qui reste d’humanité, de responsabilité et peut-être d’amour dans le cœur des hommes blessés. L’Incendie et La Route de Beit Zera sont deux romans dans lesquels les silences ont autant de poids et de sens que les mots, comme souvent dans les œuvres de Mingarelli et de Choplin. Comme souvent aussi, ces romans épurés et pudiques nous touchent profondément et nous interrogent sur ce que peut l’humanité, de meilleur et de pire, sur ces blessures et ces douleurs dont le temps et le silence marquent l’impossible oubli.