Littérature française

Julia Deck

Vivre ensemble ?

L'entretien par Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Acquérir une jolie maison semble être le rêve de beaucoup de Français. Mais, pour les personnages de Propriété privée, le nouveau roman de Julia Deck, ce projet dans lequel ils plaçaient tous leurs espoirs va très vite tourner à la catastrophe. Notamment parce qu’on ne choisit pas ses voisins !

Quand Eva et son mari s’installent dans leur maison nouvellement sortie de terre dans un écoquartier de la banlieue parisienne, c’est un rêve qui se réalise. Celui d’être enfin « chez soi », propriétaires d’un espace agréable, protecteur et rassurant, où prendre un nouveau départ et apaiser les angoisses. Mais la convivialité espérée se transforme rapidement en une promiscuité très difficile à vivre. Car, outre leurs difficultés personnelles, la narratrice et son mari sont confrontés à des voisins sans gêne et à d’importants problèmes techniques qui font de leur nouveau coin de paradis un chantier infernal et sans fin. Mais qui manipule qui dans les problèmes de voisinage ? Qui va pousser qui à la folie et à l’irréparable ? Une tension proche du thriller, une écriture au cordeau et une étude de caractères grinçante qui font du nouveau roman de Julia Deck, brillant de simplicité, une des plus belles découvertes de cette rentrée.

 

PAGE — Dans ce roman, vous mettez en scène un groupe de nouveaux propriétaires qui prennent possession de leurs maisons dans un écoquartier en banlieue parisienne. Comment avez-vous eu l’idée de cette histoire ?
Julia Deck — Depuis mon premier livre, je tourne beaucoup autour de la question de l’habitat – l’appartement ou la maison – et, au sens plus large, la ville dans laquelle on vit. Il me semble que l’espace structure vraiment notre manière d’être. L’idée est tout simplement venue de préoccupations personnelles. Depuis plusieurs années, je suis confrontée, comme beaucoup de gens, à la crise du logement à Paris : la vie est extrêmement chère et la qualité de vie est de moins en moins bonne. Beaucoup de parisiens se posent donc la question d’aller plus loin. Quand on regarde les projets de construction autour de Paris, tout est toujours extrêmement vertueux, écologique : on vous promet des merveilles. En même temps, ce sont des projets qui se bâtissent très vite, avec des impératifs de rentabilité financière et, souvent, on se rend compte que le rêve n’est pas tout à fait à la hauteur de la réalité. D’où l’idée de mettre en scène ce couple qui part avec des intentions très vertueuses et qui, malheureusement, court à la catastrophe.

P. — C’est une micro-société humaine qui va se recomposer dans cet habitat. Comment avez-vous travaillé cette galerie de personnages ?
J. D. — Je n’ai pas vraiment d’idée théorique sur la manière dont je procède avec les personnages mais il est vrai que ce roman, comme les précédents, est fondé et tient sur les personnages. Je suis partie de ce couple dans la cinquantaine, de la classe moyenne, de professions intellectuelles – elle est urbaniste, il est prof d’université. J’avais cette idée dès le départ. Ensuite, j’écris des scènes, j’essaie des situations, je sens que j’ai envie d’aller dans une direction et les autres personnages arrivent souvent pour créer un effet de contraste.

P. — Et tous ces personnages sont obligés de vivre ensemble sans s’être choisis…
J. D. — Si certains forment vraiment le projet de vivre ensemble, il y a des communautés qui se créent ex nihilo parce qu’un quartier pousse comme un champignon et que des gens se retrouvent à habiter ensemble dans des zones où il n’y a pas vraiment de vie. Du coup, les gens se structurent en communauté rapidement, autour de valeurs plus ou moins partagées. Dans le roman, ils ont tous des valeurs plutôt écologiques mais, finalement, est-ce que ça suffit à rassembler les gens ? Pas vraiment.

P. — Tout le récit repose sur la voix de la narratrice, sur ce qu’elle raconte et ce qu’elle tait. Que permet ce choix de focalisation ?
J. D. — J’ai eu par le passé beaucoup de problèmes avec les pronoms personnels : je ne savais pas lequel employer. J’ai toujours été mal à l’aise avec la troisième personne alors je m’en suis sortie en commençant mon premier livre avec le vous. Puis, en expérimentant les pronoms personnels, j’ai découvert que la première personne était celle que je préférais. Alors que c’était pour moi la personne de l’autofiction (genre qui m’intéresse en tant que lectrice mais que je ne pratique pas personnellement), je me suis rendu compte que ce n’est pas seulement ça. La première personne vous permet de jouer un rôle en tant qu’auteur : vous êtes réellement votre personnage, que vous n’êtes pas et heureusement. C’est un peu comme jouer un rôle au théâtre. J’aime beaucoup cette ambiguïté dans l’écriture, où je me fais un peu peur en étant ce personnage que je n’aimerais pas forcément être dans la réalité.

P. — À travers sa voix, on découvre les bizarreries de son couple mais aussi celles de leurs voisins…
J. D. — On découvre assez vite que ce couple a un fonctionnement un peu singulier dans l’intimité. C’est aussi quelque chose qui m’intéresse beaucoup, le jeu entre la façade sociale et la personne qu’on est dans l’intimité, avec ses proches ou quand on est seul. ça me travaille depuis mon premier livre. Et, dans cette histoire d’écoquartier, j’ai l’impression d’avoir travaillé sur les coulisses : on voit les couples ensemble, se fréquenter dans les moments de convivialité, puis on voit qu’une fois que la porte est refermée, ce n’est pas exactement ce qu’on donne à voir dans le jeu social.