Littérature française

Jean-Louis Milesi

À l’Ouest

L'entretien par Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Entre fiction et réalité, Jean-Louis Milesi nous entraîne sur les traces d’Edward Curtis, photographe du début du XXe siècle au projet fou : immortaliser le mode de vie des survivants de toutes les tribus indiennes des États-Unis. Un choix dicté par une rencontre improbable et le début d’une amitié.

Le personnage principal de votre roman est Edward Curtis, un photographe célèbre pour ses photos des tribus indiennes des États-Unis au début du XXe siècle. Comment l’avez-vous « rencontré » ?

Jean-Louis Milesi - Je suis parti aux États-Unis pour un projet familial et je suis tombé sur un livre de photos de Curtis. Je connaissais quelques photos mais j’aurais été incapable de donner le nom du photographe. J’ai donc commencé par regarder les photos puis j’ai lu le texte et je me suis intéressé au bonhomme en me demandant pourquoi ce bourgeois de Seattle, qui n’avait aucune raison de s’intéresser plus que d’autres aux Indiens, avait décidé de consacrer son temps à ce projet. Je suis allé piocher dans des livres d’Histoire et j’ai découvert tout ce qu’il y avait autour de Curtis, comment ses photos avaient été fabriquées mais aussi l’époque, les Indiens, les massacres, la fin des dernières guerres indiennes… Cela a réveillé l’enfant qui n’était pas très loin et la possibilité de raconter quelque chose qui s’approche des films qui ont bercé mon enfance.

 

En effet, votre roman est un western et, en même temps, il refuse le clivage manichéen entre des Indiens méchants et des cow-boys qui apportent la civilisation.

J.-L. M. - Quand on fouille, il y a tellement de documents ! Après, on choisit de mettre certains aspects en avant. Les Américains blancs ont choisi de mettre en avant ce qui les intéressaient. Mais tout est là. Par exemple, j’ai lu qu’à l’époque il existait une espèce de confrérie de bourgeois blancs qui s’appelait « Les Amis de l’Indien ». Lorsqu’on lit les comptes-rendus de leurs réunions, on se dit : « Si ça, ce sont les amis des Indiens alors qui sont leurs ennemis ? » Parce qu’avoir des amis comme ça, pour les Indiens, c’était terrible. On retrouve cette confrérie dans le roman.

 

Dans votre roman, il y a un autre personnage essentiel, Henry. Parlez-nous un peu de lui.

J.-L. M. - En fait, le roman commence par Henry et non par Curtis. Henry est alors un enfant et il ne s’appelle pas encore Henry. Suite à une énième rébellion des Sioux, le gouvernement du Minnesota ne veut plus un seul Sioux sur son territoire. Certains sont condamnés à mort et d’autres sont conduits hors des frontières de l’État. C’est donc une marche qui va durer une semaine, dans le grand froid du mois de novembre. Et un de ces enfants indiens, c’est mon personnage qui va changer de nom et qui va renier son « indianité » pour devenir Blanc, parce qu’au cours de ce voyage, ils sont attaqués et il perd sa tribu.

 

Il y a trois déclencheurs dans la « mission » que se donne Curtis de photographier les Indiens : un souvenir d’enfance, une première photo qu’il réalise à Seattle, et la rencontre avec Henry et la tribu qu’il découvre dans une réserve. En quoi ces trois éléments sont-ils essentiels ?

J.-L. M. - Je suis un écrivain de fiction donc il y a là du vrai et de l’imaginaire. Autour de Princesse Angéline, tout est vrai. Angéline était la fille du chef Seattle à qui on a volé son nom pour désigner la ville. Quelques années plus tard, on a chassé tous les Indiens de la ville sauf Angéline. Il n’y a aucun témoignage qui explique pourquoi elle a pu rester. Curtis a des ambitions, il a envie de devenir un photographe reconnu. Au départ, les photos qu’il fait d’Angéline, ce n’est pas pour immortaliser les Indiens, c’est parce qu’il pense que ces photos vont plaire. Ensuite, il est invité par George Grinnell à assister à une cérémonie de danse indienne. Je me suis glissé dans ce voyage extraordinaire pour apporter mon regard : le point de départ du changement pour Curtis est cette rencontre avec Henry qui lui rappelle cette vision de son enfance, un Indien sur son cheval dans un sous-bois, une image à la Fenimore Cooper. Pour Curtis, c’est un cheminement, ça va lui prendre quelques semaines mais son regard va, petit à petit, complètement changer. Il y aussi le fait qu’il part avec une collection de grandes plaques de verre qui faisaient des images extraordinaires mais, quand il ne lui en reste qu’une, la question se pose : quelle photo faire avec cette unique plaque ?

 

Edward Curtis pourrait se contenter de photographier les bourgeois de sa ville de Seattle mais les territoires sauvages l’attirent. En rejoignant une expédition naturaliste, il est attaqué par des bandits mais un étrange cow-boy lui laisse la vie sauve. En partageant la route de son « sauveur », Curtis s’enfonce dans l’Ouest sauvage, jusqu’à une réserve dirigée par des missionnaires. Confronté à la réalité dramatique de l’entreprise soi-disant civilisatrice des Blancs, le photographe se retrouve face à un dilemme artistique autant que moral pour choisir le sujet de sa dernière photo. Un formidable roman d’aventure, western sensible autour d’un personnage méconnu.