Littérature française

Tristan Garcia

7

illustration

Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Depuis son premier roman, Tristan Garcia se joue des genres, des codes et des attentes. En ce sens, 7, son nouveau roman, est susceptible de devenir emblématique de son œuvre tant il échappe aux tentatives de résumé et de caté-gorisation. De quoi secouer la rentrée et faire entrer les lecteurs dans une nouvelle dimension… littéraire.

« Je suis nombreux » : placée en exergue du premier texte de 7, cette phrase semble pouvoir définir le livre tout entier. En effet, il se compose de sept textes dont on ne sait s’ils peuvent être qualifiés de « nouvelles » (bien qu’il s’agisse d’histoires apparemment distinctes et autonomes) puisque l’habituelle mention de genre en couverture s’écrit « romanS » chez Tristan Garcia, le pluriel invitant donc le lecteur à voir en 7 plusieurs courts romans. Mais qu’on se rappelle que la pluralité renvoie autant à la multiplicité de l’objet qu’à son hétérogénéité, et 7 devient un unique roman, fragmenté en sept unités narratives… Vous l’avez compris, la lecture n’a pas encore commencé que Tristan Garcia joue déjà avec nos attentes et nous invite à aiguiser notre attention. D’autant que cet exergue reflète également l’un des thèmes majeurs du livre, à savoir l’identité de l’homme et son essentielle complexité. Qui suis-je ? Suis-je le même aujourd’hui qu’à 15 ans ? Que penserait celui que j’étais à 20 ans de ce que j’ai fait de ma vie ? En quoi crois-je ? En quoi puis-je croire ? Ce que je vois est-il la réalité ou une production de mon esprit ? Apparences, engagement politique, croyances, rapport au temps, langage, foi…, autant de thèmes qui sont donc au cœur des histoires de Tristan Garcia, ces « romans miniatures » qui tendent tous ou presque vers le fantastique ou l’anticipation (mais rien d’insurmontable pour les plus hermétiques à ces genres littéraires). Par exemple, dans « La révolution permanente », le personnage est plongé dans une réalité alternative où ses idéaux révolutionnaires de jeunesse se sont concrétisés, pour le meilleur et pour le pire. Dans « Hémisphères », pour assurer la paix, les hommes ont choisi de vivre dans des bulles isolées du reste du monde organisées en fonction de leurs « Principes ». Dans « Sanguine », la plus belle femme du monde découvre que sa beauté est la contrepartie de la laideur d’un homme et que tout l’équilibre du monde repose sur ce même principe de négatif. Quelle que soit la situation imaginée, jamais rien n’est univoque, tout est toujours remis en question, complexifié, suspendu à l’incertitude fondamentale du fantastique, impossible à résoudre… comme la vie, comme le monde, comme l’homme. « La septième » est la cerise sur ce gâteau littéraire puisqu’elle repose sur le motif classique du replay et recompose les thèmes, les situations et les questions à l’œuvre dans 7 en leur donnant une nouvelle cohérence. Si la complexité de 7 risque de décontenancer – voire de décourager – certains lecteurs, elle est assumée par une ultime mise en abyme qui questionne l’écriture romanesque : « je prenais plaisir à […] creuser des passages secrets, des tunnels qui couraient d’un chapitre, d’une phrase, parfois même d’un mot à un autre, à travers les pages, multipliant les couloirs souterrains mais aussi les chausse-trappes dans des récits en forme de bâtisse gigogne fourmillant de détails où j’espérais qu’un autre que moi, le lecteur, puisse venir habiter, et découvrir enfin l’architecture invisible du monde ». Avec ce livre brillant, Tristan Garcia nous donne une nouvelle preuve de son talent fou. Et ceux qui tenteront l’aventure de cette lecture en seront largement récompensés.

Les autres chroniques du libraire