Littérature étrangère

Harper Lee

Va et poste une sentinelle

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Paru en 1960, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur semblait devoir rester l’unique roman de l’auteure américaine Harper Lee. Jusqu’à ce qu’on retrouve un manuscrit perdu pendant plus de cinquante ans, aujourd’hui édité... Va et poste une sentinelle est à la fois la suite et la genèse de ce livre-culte.

Lorsqu’en 1957, Harper Lee propose le manuscrit de Va et poste une sentinelle à un éditeur, celui-ci est surtout séduit par les passages sur l’enfance de la narratrice et conseille donc à l’auteure de réécrire le roman autour des jeunes années de son héroïne. Ainsi naquit Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, dans lequel le lecteur glisse ses pas dans ceux de Scout Finch, fillette aux allures de garçon manqué et à la langue bien pendue, vivant dans une petite ville de l’Alabama des années 1930, confrontée à la violence du monde qui l’entoure lorsque son père devient – envers et contre tous – l’avocat d’un jeune noir accusé du viol d’une adolescente blanche. Considéré comme un hymne à la justice et à la tolérance, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur a connu un succès phénoménal dès sa parution et est devenu, au cours du demi-siècle suivant, un livre culte aux États-Unis et à travers le monde. Mythe entretenu par le fait qu’Harper Lee n’a jamais publié d’autre roman. Considéré comme perdu par l’auteure elle-même, le manuscrit de Va et poste une sentinelle refait finalement surface en 2014 et Harper Lee autorise sa publication. L’intrigue se déroule dans les années 1950 et Jean Louise Finch (Scout) rentre passer l’été auprès de son père dans la maison familiale. Atticus est un vieux monsieur perclus de douleurs mais toujours vaillant, drôle et profondément humaniste, qui demeure un pilier de la communauté. Alors que son séjour semble devoir se dérouler selon des plaisirs immuables (virées nocturnes avec Henry son amour d’adolescente, discussions savoureuses avec l’oncle Jack, algarades sur sa conduite avec la tante Alexandra…), la découverte d’un fascicule de propagande raciste va tout faire voler en éclats. Jean Louise comprend alors que son père est un membre éminent du Conseil des citoyens local, dont les opinions sont ouvertement racistes et ségrégationnistes, semblant ainsi démentir toutes les valeurs qu’il lui a transmises. Lorsqu’elle se rend auprès de Calpurnia, la nourrice noire de son enfance, dans l’espoir d’y trouver du réconfort, celle-ci ne semble plus voir en elle qu’une Blanche et non la fillette qu’elle a élevée : c’est alors le monde qui finit de s’écrouler sous ses pieds. Se sentant trahie, Jean Louise va devoir se confronter à celui qu’elle a toujours considéré comme un modèle absolu, mais aussi à ses racines profondes afin de dépasser ses contradictions morales et devenir enfin elle-même. Si le lecteur découvre dans Va et poste une sentinelle des personnages dont le rapport à la question raciale est beaucoup moins univoque et édulcoré que dans Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, il faut cependant résister à la tentation de trop comparer les deux romans qui, même s’ils semblent être la suite l’un de l’autre, doivent plutôt être considérés comme deux versions d’un même monde, de mêmes personnages, apportant des réponses différentes aux mêmes questionnements autour de l’enfance, des relations familiales, du passage à l’âge adulte et du rapport aux autres et au monde, ou dans le Sud d’avant la lutte pour les droits civiques.

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