Littérature française

Mathilde Chapuis

Nafar

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Plus qu’un roman sur l’exil, Nafar est une histoire d’amour et d’espoir. La possibilité de raconter le périple d’un homme parmi des milliers, qui fuit la guerre, tente d’arriver en Europe pour retrouver la dignité et la liberté qui lui ont été volées. Un premier roman ambitieux, émouvant et nécessaire.

Ouvrir le premier roman de Mathilde Chapuis, c’est partir à la rencontre d’un homme et d’une femme. D’un homme qui avance ou tente d’avancer. D’une femme qui veille et retrace le périple. Nafar, ce pourrait être le nom de cet homme, un nom venu d’ailleurs, aux sonorités exotiques. Mais l’auteure a choisi de ne pas nommer son « héros », de le désigner par ce mot – nafar – qui désignait en arabe classique « celui qui quitte sa patrie pour aller vers une autre » et qui a pris aujourd’hui une connotation plus péjorative pour pointer le migrant, l’étranger. Un mot sur lequel la narratrice choisit de ne pas fermer les yeux pour regarder la situation de son compagnon en face. Un mot dans lequel cohabitent violence et poésie : « Dans nafar, j’entends effort. J’entends départ, j’entends hagard et blafard, j’entends rafale et rafler, érafler. J’entends noir, j’entends Na ! et fort, j’entends naïf, phare et far west. » Ce jeune homme qui a quitté Homs et la Syrie en guerre, nous ne connaîtrons jamais son nom, mais nous n’en avons pas besoin pour trembler à ses côtés, attendre dans le froid et les ombres pour tenter l’improbable traversée de la rivière Mériç, frontière naturelle entre la Turquie et la Grèce et dernier obstacle avant l’Europe, pour retenir notre souffle, pour savoir si le dieu auquel il maintient malgré tout sa foi a prévu pour lui apaisement et repos ou nouvelles épreuves. Cet homme, c’est le « tu » du roman, celui qui en est le personnage principal mais aussi le destinataire. En regard, il y a le « je » de la narratrice, une femme qui l’aime et qu’il aime, rencontrée à Istanbul. Cette jeune femme ne peut rien faire pour l’aider dans ses multiples tentatives de traversée, elle ne peut qu’être une présence douce aux côtés de cet homme, elle ne peut que vivre et ressentir par procuration sa peur, son découragement, son espoir et sa tristesse. Cette jeune femme n’a que les mots pour tracer sur le papier les étapes de ce périple où les bribes de souvenirs sont péchés dans le quotidien comme des tessons précieux et où les vides nombreux sont comblés par l’imagination, la mythologie et l’amour. Mathilde Chapuis propose une approche originale de la question de l’exil et de la migration qui oblige le lecteur à cheminer aux côtés de ceux qui risquent tout pour un espoir aux allures de mirage. Un très beau texte, engagé et sensible, qui porte en son cœur une réflexion sur le pouvoir des mots pour être au monde, dire le monde et se révéler aux autres.

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