Polar

Fred Vargas

Quand sort la recluse

illustration

Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Loxosceles rufescens, plus connue sous le nom d’araignée violon ou recluse brune : voilà la principale suspecte de la nouvelle enquête du commissaire Adamsberg. Réputée inoffensive, on lui impute pourtant deux décès par morsures dans le Sud de la France. Alors Adamsberg va creuser, quitte à diviser sa brigade.

C’est pourtant pour une tout autre affaire que l’on rappelle le commissaire d’urgence à Paris alors qu’il séjournait en Islande, sur l’île de Grimsey, découverte lors de l’enquête menée dans Temps glaciaires (J’ai Lu). Il s’agit de savoir qui du mari ou de l’amant a écrasé une jeune femme dans les rues de Paris. L’infatué mari remis à sa place par la culture encyclopédique du lieutenant Danglard, le commissaire Adamsberg ayant fait un tour du quartier en voiture avec chacun des suspects, l’affaire est résolue en deux temps trois mouvements et ce malgré l’odeur épouvantable et persistante laissée par la tête de murène ayant séjourné sous le bureau de Voisenet. Incident comique et anecdotique s’il n’avait lancé le commissaire sur la piste d’une étrange araignée tueuse. Tout ça pour un curieux frisson dans la nuque à la simple évocation de la recluse, cette « ombre » qui lui impose d’en savoir plus, qui le fait soupçonner la main d’un assassin derrière le venin des araignées. Les forums sur Internet bruissant de mille rumeurs et exagérations, Adamsberg se rend au Muséum d’histoire naturelle pour rencontrer un éminent spécialiste. Mais la rencontre la plus féconde est, comme toujours, celle vers laquelle le commissaire se laisse porter par son caractère et sa curiosité, en l’occurrence celle d’une petite femme replète de 70 ans aux vêtements démodés : Irène Royer-Ramier. Irène est venue du Sud de la France apporter un spécimen de recluse au professeur du Muséum mais elle préfère finalement l’offrir à Adamsberg qui, lui, a écouté ce qu’elle avait à dire et qui le conforte justement dans l’étrange sensation qu’il y a quelque chose de suspect dans cette affaire. En effet, Irène lui apprend que les deux vieux messieurs décédés étaient amis d’enfance et anciens pensionnaires d’un orphelinat de Nîmes, « La Miséricorde ». Et tortionnaires de leurs camarades de l’époque avec des recluses… L’enquête qui commence alors ne peut être officielle – la Police nationale n’a ni argent ni temps à gaspiller dans d’improbables lubies – et, lorsque le commissaire en évoque la possibilité à son équipe, les lignes de faille qu’on avait entrevues dans de précédents romans se révèlent sérieuses voire dangereuses, d’autant que le principal catalyseur de cette fronde n’est rien moins que le fidèle Danglard dont l’attitude odieuse risque bien de briser la confiance de la brigade malgré quelques fidèles soutiens. Mais il en faut plus à Adamsberg pour lâcher une affaire quand il sent qu’il doit creuser et persister, fidèle en cela à la théorie de son voisin Lucio qui sait bien qu’il faut « gratter jusqu’au bout, jusqu’au sang, sauf à risquer d’être démangé toute sa vie ». Quand sort la recluse est une vraie friandise pour les amateurs de roman policier : une énigme à tiroirs, des relations humaines complexes, un humour tout en finesse. Cette nouvelle enquête du commissaire Adamsberg ciselée par Fred Vargas se lit d’une traite et se referme à regret tant on aime côtoyer ce singulier policier et ses acolytes.

Les autres chroniques du libraire