Littérature étrangère

Arnost Lustig

la Danseuse de Varsovie

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Après Elle avait les yeux verts en 2010, les éditions Galaade poursuivent la traduction française de l’œuvre de l’écrivain tchèque ArnoŠt Lustig avec La Danseuse de Varsovie. Inspiré de faits réels, ce roman fait à nouveau pénétrer le lecteur dans l’enfer des camps d’extermination nazis.

Sur la rampe de débarquement et de sélection d’un camp, en descendant du convoi qui l’amène de Varsovie avec toute sa famille, la jeune Katarzyna Horowitz se tourne vers son père qui vient de lui signifier que seule la mort les attend en ce lieu fait de barbelés, de cheminées fumantes et de visages décharnés, et lui dit simplement : « Mais je ne veux pas mourir, moi… » Cette volonté de vivre sera l’amorce du sauvetage de Katarzyna et la pierre d’achoppement de son innocence. Grâce à la volonté d’un homme (un juif américain en transit en vue d’un échange de prisonniers) et au pouvoir d’un autre (le chef de la section secrète du camp chargé de mener à bien cet échange), Katarzyna quitte sa famille et le chemin des chambres à gaz pour une aventure à la destination incertaine. Elle rejoint un groupe de vingt hommes, juifs, Américains et très riches, qui négocient leur échange contre des prisonniers allemands. L’accord passé, reste le voyage vers le lieu de la transaction et les nombreuses dépenses qu’il occasionne, dépenses auxquelles ne cessent de s’ajouter de nouveaux frais et de nouvelles péripéties qui retardent constamment la libération promise. Mais jusqu’au bout, chacun essaie d’y croire…

ArnoŠt Lustig, lui-même rescapé des camps de Terezin, Auschwitz et Buchenwald, n’a pu témoigner de son expérience personnelle à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et a alors tenté de transmettre la réalité de la déportation et de l’extermination des Juifs à travers la littérature. Dans La Danseuse de Varsovie, il s’inspire de faits réels, notamment de l’histoire de Franciszka Mann, danseuse au talent prometteur avant la guerre qui fut obligée de se produire dans des cabarets pendant l’Occupation. Il semble qu’elle fit partie des juifs de Varsovie qui obtinrent des passeports sud-américains avant d’être convoyés prétendument vers la Suisse et d’être gazés à Auschwitz. Mais son nom est surtout associé à un acte de révolte au cours duquel elle tua un soldat allemand et en blessa grièvement un second. Plus que son résultat, c’est bien sûr le refus d’un avilissement et d’un destin inéluctable qui font la grandeur de cet acte relaté par des membres des Sonderkommandos.

Au-delà de ce qui relève des faits historiques ou de la construction littéraire, vous n’oublierez pas de sitôt cette Danseuse de Varsovie et son désarroi d’avoir affirmé son désir de vivre, quand bien même celui-ci fut au prix de l’abandon des siens ; plus que le personnage, c’est le roman que vous n’oublierez pas, parce que Lustig est un grand écrivain qui s’attache à ses personnages avec une humanité et une émotion véritables, et qui pèse chaque mot pour que résonnent simultanément une chose et son contraire selon ce que l’on veut entendre, rien moins que la vie ou la mort, la liberté ou l’anéantissement. Sous-titré Prière pour Katarzyna Horowitz, le roman d’ArnoŠt Lustig est un hommage aux disparus des camps et aux rescapés, un témoignage sur la possibilité d’un héroïsme des petites choses, un questionnement sur le prix à payer pour la liberté et la vie de chaque homme.

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