Littérature étrangère

Christian Kiefer

Fantômes

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Avec Fantômes, Christian Kiefer plonge dans l’histoire complexe de l’Amérique et confirme le talent, l’intelligence et la sensibilité que les lecteurs avaient découverts dans Les Animaux (Albin Michel, 2017).

Ils sont nombreux les fantômes à hanter le nouveau roman de Christian Kiefer : fantômes des copains morts au combat dans la boue des Vosges ou dans les marais du Vietnam, fantômes de ceux – pas toujours combattants mais intrinsèquement menaçants – à qui on a soi-même ôté la vie, avions « Phantoms » de l’armée américaine arrosant la jungle de bombes ou de napalms, fantômes des familles nippo-américaines disparues des communautés où elles avaient construit leurs vies, fantômes des amours perdues, fantômes des rêves oubliés, fantômes de ceux qu’on aurait pu devenir s’il n’y avait pas eu la guerre… Alors que John Frazier tente de se reconstruire après son retour du Vietnam en séjournant chez sa grand-mère, il découvre que la si tranquille petite ville de Californie, autrefois prospère grâce à la culture fruitière, a été le théâtre d’une déportation aussi massive qu’oubliée : celle des familles nippo-américaines vers des camps d’internement après le bombardement de Pearl Harbor. C’est ce qui est arrivé à la famille Takahashi qui, jusque là, était parfaitement intégrée à la communauté, notamment grâce à l’amitié la liant à la famille Wilson à travers les pères mais surtout à travers les enfants, Ray d’un côté, Jimmy et Helen de l’autre. Mais, après la guerre, Ray est revenu puis a disparu. John trouve dans cette histoire un objectif à ses journées atones, un écho à sa propre expérience et la matière de ce qui pourrait devenir un roman pour cet aspirant écrivain. Fantômes est un roman initiatique, une enquête mémorielle et surtout une réflexion sensible sur le traitement honteux des Américains d’origine japonaise au moment de la Seconde Guerre mondiale mais aussi sur la détresse des milliers de jeunes hommes brisés par la guerre, quelles que soient les générations et le théâtre des opérations.

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