Littérature étrangère

Jennifer Zeynab Joukhadar

La Carte du souvenir et de l’espoir

illustration

Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Il était une fois une jeune fille bousculée par la guerre civile dans la Syrie d’aujourd’hui et une autre parcourant le monde méditerranéen dans les pas d’un maître-cartographe au XIIe siècle.

« Mama disait toujours que les récits étaient un moyen pour Baba de créer du sens. Il avait besoin de démêler les nœuds du monde. » Le premier roman de Jennifer Zeynab Joukhadar semble procéder de cette même nécessité, éclairant les folies et les souffrances du monde contemporain à travers l’histoire croisée de deux adolescentes arpentant – à huit siècles d’écart et poussées par des motivations bien différentes – les rives de la Méditerranée. D’abord, il y a Nour « qui vivait et ne vivait pas » à Homs, en Syrie, à l’été 2011. Quand la maison familiale est détruite par un bombardement, elle fuit avec sa mère et ses sœurs vers la Jordanie dans l’espoir de regagner les États-Unis quittés quelques mois plus tôt après la mort du père. Mais Amman n’est que le point de départ d’une errance dans le flot des réfugiés. Heureusement, dans ces épreuves, elle se rappelle que « les histoires apaisent la douleur de vivre » et se berce avec celles que lui racontaient son père, en particulier leur préférée qui fait écho à son propre périple. Cette histoire, c’est celle de Rawiya, jeune fille déguisée en garçon pour s’attacher aux pas du célèbre cartographe arabe al-Idrisi qui constitua, au prix de nombreuses péripéties, une carte fabuleuse de la Méditerranée et un récit non moins éblouissant de ses aventures. À la fois conte oriental, récit de voyage, roman initiatique et itinéraire d’un exil, La Carte du souvenir et de l’espoir emporte le lecteur dans une aventure chatoyante, entre émerveillement et effroi, le convainquant, si nécessaire, de la nécessité de raconter des histoires et de la capacité de celles-ci à peindre le monde, à l’inventer et nous faire vivre. Et de rappeler que « les lieux les plus importants de la carte, ce sont ceux où l’on n’a jamais été »… mais peut-être aussi ceux où l’on peut toujours revenir, même à travers une histoire.

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