Littérature étrangère

Emma Donoghue

Égarés

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Alors que la voix de Jack, l’émouvant héros de Room (Stock 2011), résonne encore dans nos têtes, la Canadienne Emma Donoghue est à nouveau dans l’actualité en cette rentrée avec un recueil de nouvelles intitulé Égarés. Une autre facette de son talent.

Si les quatorze nouvelles de ce recueil (écrites entre 1998 et aujourd’hui) n’ont pas été conçues pour constituer un ensemble, elles avaient toutefois un thème commun : le voyage. Pas le voyage d’agrément, le séjour de vacances, celui dont l’issue est un retour au point de départ. Non, le voyage qui fait commencer une nouvelle vie, celui dont on ne connaît pas l’issue et qui équivaut parfois à se jeter dans le vide en espérant que l’atterrissage sera simplement possible. Qu’il s’agisse de fuir la famine sévissant en Irlande au milieu du xixe siècle (« Compter les jours »), de participer à la fièvre de l’or dans le Yukon en 1896 (« La cécité des neiges ») ou de faire partie des tout-premiers colons en terre d’Amérique à la fin du xviie siècle (« La graine stérile »), les personnages des nouvelles d’Emma Donoghue quittent un monde pour un autre, que tous espèrent meilleur, quand bien même ils ne l’ont pas véritablement choisi et qu’il s’impose à eux. Mais, s’il y a effectivement de nombreux immigrants parmi les protagonistes d’Égarés, le voyage n’est pas toujours concret : beaucoup d’entre eux ne sont pas perdus dans l’espace mais dans une vie à l’intérieur de laquelle leurs repères sont inopérants et leurs différences impossibles à surmonter (« Fille à papa » ou « Retour au bercail »).

Ne cherchez pas dans les nouvelles de ce recueil les émotions provoquées par la lecture de Room, elles n’y sont pas. Ici, le projet d’Emma Donoghue est sensiblement différent puisqu’elle a mis en synergie son propre sentiment d’être étrangère à un étrange nouveau monde, avec son goût pour la recherche historique (de nombreux personnages et situations dépeints dans ces nouvelles ont été construits à partir d’archives, de journaux, de correspondances réelles…). En préface, elle explique sa démarche et conclut : « Écrire est ma façon […] d’échapper à la claustrophobie de mon individualité. Cela me permet, au moins pour un temps, de vivre plus d’une vie, d’explorer plusieurs chemins. Lire, bien sûr, peut aussi servir à cela. » Alors, embarquement immédiat !

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