Littérature française

Philippe Forest

Crue

illustration

Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Une mystérieuse épidémie. Un témoin qui ne l’est pas moins. Crue, de Philippe Forest, est un roman magnétique aux multiples entrées, une bouleversante réflexion sur notre quête de sens perpétuellement renouvelée.

Un homme écrit : « Ce fut comme une épidémie. Mais le monde n’en sut jamais rien ». Et cet homme de tenter de s’expliquer. Il ne recherche pas la mise en lumière, se cachera même derrière un prête-nom au cas où sa parole deviendrait un écrit ; il doute de ce qu’il a vu, non du phénomène mais de son ampleur, de ce qui pourrait le mieux définir celui-ci, le rendre explicite ; il insiste sur la dimension générale des événements, sur le fait que tous y sont confrontés d’une manière ou une autre. Puis cet homme commence à se raconter, prétendant que ce travail sur les circonstances, le contexte et les détails permettra (à qui ?) de trouver un renfort de véracité à son récit. Et c’est ainsi que le narrateur remonte quelque temps auparavant et décrit son retour dans sa ville natale, ville que le temps (et les investisseurs) a profondément bouleversée ; il revient sur son installation dans un quartier populaire qui subit lui-même de profonds changements. Malgré le caractère inondable de cet endroit, les promoteurs se sont lancés dans d’ambitieux et coûteux programmes de construction. Il revient sur la vie qu’il y mène, jusqu’à ce qu’une évidence s’impose à lui : le monde était en train de disparaître dans l’indifférence générale. Se frayant un chemin qui lui est propre au cœur d’un impressionnant bouquet d’ombres où reposent ici et là Albert Camus, Kafka, voire Lovecraft, Philippe Forest offre avec ce récit – sur le fil ténu de la réalité et de la fiction, entre roman et fable –, une splendide variation sur l’interrogation du sens de la vie, de son apparente absurdité, de notre rapport à la perte. Alors qu’il vient d’être couronné par le Goncourt de la biographie pour son Aragon (Gallimard), il démontre une fois de plus qu’il est l’un de nos grands auteurs.

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