Littérature française

Pierre Lemaitre

Miroir de nos peines

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Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

1940. Pierre Lemaitre croise les destins dans une France qui bascule en quelques semaines de l’interminable attente d’une guerre qui ne vient pas à un effondrement aux allures de cataclysme. Grand roman aux confins des genres, Miroir de nos peines est un nouveau tour de force de l’auteur d’Au revoir là-haut.

Voici Louise, jeune institutrice parisienne. Que ce soit dans son école ou au restaurant de Monsieur Jules où elle aide au service les week-ends, elle semble souvent regarder sa vie défiler de l’extérieur, comme absente : plongée bien malgré elle au cœur d’un terrible drame, elle n’aura d’autre choix que de réagir et de se confronter aux ombres de son histoire familiale. Voici Gabriel et Raoul, deux soldats installés dans un fort de la ligne Maginot aux allures de vaisseau fantôme, sans doute plus effrayant pour ses habitants que pour de potentiels assaillants : tout semble opposer les deux hommes mais voilà que la guerre et les divisions blindées allemandes se rappellent à leurs bons souvenirs et les attachent l’un à l’autre ; pour le meilleur ? Voici Désiré, avocat providentiel aux brillantes envolées, qui s’attaque au cas désespéré d’une veuve meurtrière que la moindre preuve paraît définitivement condamner ; mais alors que le procès prend une tournure des plus inattendues, une question ne tarde pas à se poser : qui diable est donc vraiment ce Désiré Migault ? Entamant chacune de ces histoires par un coup de tonnerre (l’une des grandes spécialités du Monsieur : rappelez-vous le cheval d’Au revoir là-haut ou l’enterrement de Couleurs de l’incendie), Pierre Lemaitre attrape dès les premières pages son lecteur, qui victime consentante au large sourire, lie alors son sort, ses prochaines heures de lecture du moins, à celui de ces héros si attachants, à qui le destin et un auteur en pleine forme vont réserver mille et une surprises. Et derrière les différentes strates du récit et ses différentes formes utilisées (roman d’aventure, de guerre, roman historique, secret de famille) se dessine la riche évocation de cette désastreuse année 1940 qui, avant de devenir l’année de l’exode, ce mouvement de panique inédit dans l’Histoire de France, fut l’année de la drôle de guerre, cette étrange période où les multiples déclarations de guerre ne suffirent pas durant de longs jours à déclencher des hostilités visibles. Et à tout cela il faudra aussi ajouter cet art du portrait et des personnages secondaires (Monsieur Jules !), le sens du rythme et du rebondissement hérité de ses années d’écriture « noire », l’humour et les clins d’œil (d’Eddy Mitchell à Marcel Proust), les échos aux livres précédents (Louise s’appelle Belmont, cela ne vous évoque-t-il vraiment rien ?) qui apportent leur souffle sans jamais dédramatiser les situations souvent terribles et qui rendent la lecture des romans de Pierre Lemaitre si délectable.

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