Jeunesse

Anne Goscinny

Portrait d’une jeune fille aux crayons de couleur

Entretien par Stanislas Rigot

(Librairie Lamartine, Paris)

D’une amitié entre deux auteurs est né cet album où l’on suit les aventures d’une petite fille confrontée à ce qu’elle considère comme une terrible épreuve, dessiner. Le texte d’Anne Goscinny, les dessins d’Emmanuel Guibert racontent, avec une grande tendresse et une poésie rare, l’enfance.

Alors que vient de sortir le volume 10 du Monde de Lucrèce et le tome 21 d’Ariol, deux séries au succès retentissant, vous publiez ensemble, aux éditions Gallimard Jeunesse, le magnifique La Petite Fille qui ne savait pas dessiner. Comment est née cette collaboration ?

Anne Goscinny Emmanuel et moi nous connaissons depuis le lycée ! Nous étions à Molière tous les deux. Je devais être en 3e quand il était en Terminale. Il m’avait écrit une très jolie lettre dans laquelle il disait toute l’admiration qu’il avait pour mon père. Je me souviens parfaitement de mon émotion. Et puis, en 1997, il a été couronné par le prix René Goscinny pour son très bel album, réalisé avec Joann Sfar, La Fille du professeur. En 2017, il reçoit une seconde fois ce prix récompensant cette fois l’ensemble de son œuvre. J’ai beaucoup d’admiration pour Emmanuel, sa sensibilité, sa finesse, son humour.

 

Le livre s’articule autour des aventures d’une petite fille à qui le père Noël a offert une impressionnante boîte de crayons de couleur mais qui ne sait pas dessiner. Pouvez-vous nous présenter cette petite fille, Anne Goscinny ?

A. G. Cette petite fille, je la connais bien ! Je suis depuis toujours une handicapée du dessin et toute mon enfance, j’ai dû trouver des astuces pour contourner cette injonction systématique faite aux enfants : « fais un dessin ». Ma petite fille a eu une enfance très heureuse, petite-fille unique de deux grands-mères merveilleuses et fille unique de deux parents hors du commun qui s’aimaient et qui l’aimaient passionnément. Et puis un jour, d’un coup de hache, son enfance, la mienne, s’arrête violemment, guillotinée par une tragédie : la mort brutale de mon père.

 

Emmanuel Guibert, comment avez-vous approché l’illustration de ce livre, qui tout en abordant des sujets difficiles reste lumineux ?

E. G. Quiconque s’appelle Goscinny recevra toujours le meilleur accueil chez moi. Et si ce ou cette Goscinny me demande de dessiner des Goscinny, j’y mettrai un soin, une sollicitude et une gratitude directement hérités de mon amour pour les Goscinny. Car ce qui est lumineux (pour reprendre votre terme) dans cette histoire de Goscinny, c’est avant tout la chaleur et la clarté solaires qui continuent à émaner de ce nom. Et je dois évidemment beaucoup aux Goscinny.

 

Le texte s’inscrit à la croisée des chemins de votre écriture, Anne Goscinny, empruntant autant à vos romans adultes qu’à la série Lucrèce. Comment le définiriez-vous ?

A. G. Précisément parce qu’il embrasse tous mes chemins d’écriture, il est compliqué à définir. J’explore l’écriture pour les enfants depuis les dix volumes du Monde de Lucrèce. J’ai beaucoup appris. Il ne faut jamais lâcher la main des jeunes lecteurs et surtout ne jamais considérer que leur fidélité est acquise ! Je me remets en question à chaque histoire. Ici, je suis allée voir du côté de l’autobiographie destinée aux enfants, en n’éludant rien de ce qui chagrine, de ce qui fragilise, mais en gardant une légèreté propre aux enfants.

 

La poésie de l’enfance, les doutes et les peurs, les épreuves subies et traversées, le livre s’avère à la fois éminemment personnel et pourtant universel. À qui pensez-vous qu’il s’adresse ?

A. G. Je voudrais qu’il s’adresse aux enfants et à leurs parents. Dans mes rêves les plus fous, les jeunes lecteurs le conseilleraient aux plus grands. Et les adultes, l’ayant lu, seraient heureux de le faire découvrir à leurs enfants ou petits-enfants. C’est un livre qui parle du bonheur familial, amical, mais aussi du deuil, celui d’une grand-mère, d’un père. Il évoque aussi l’ombre qui pèse sur une famille, celle de la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. Mais ce n’est surtout pas un livre sombre. Les illustrations d’Emmanuel Guibert mettent de la lumière partout où elles passent !

 

Peut-on espérer une autre collaboration ?

A. G. Si ça ne tenait qu’à moi ! J’ai déjà eu une chance folle qu’Emmanuel accepte d’illustrer ce texte-là. Le voir interpréter le visage et la silhouette de mes parents a été extrêmement émouvant. Ils sont devenus, sous son pinceau génial, des personnages que je rêverais de recroiser un jour, dans un autre livre.

 

 

Entre les nombreux cadeaux qui attendent la petite fille au pied du sapin, le plus impressionnant se révèle être une grande boite de crayons de couleur, un cadeau d’autant plus impressionnant que son père assène alors : « avec ça, tu ne t’ennuieras jamais ! ». Seulement il y a un problème dont personne ne semble se rendre compte : la petite fille ne sait pas dessiner. Que faire ? Sans se décourager, elle se lance dans le dessin avec comme atout son imagination. Mais alors que la vie de la petite fille prend une tournure inattendue, l’épreuve du dessin va être amenée à se répéter. Véritable roman initiatique, cet album est une ode au courage des enfants, à cette façon unique qu’ils ont de faire face.

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