Littérature étrangère
Alessandro Baricco
Abel

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Alessandro Baricco
Abel
Traduit de l'italien par Lise Caillat
Gallimard
03/04/2025
166 pages, 20,50 €
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Chronique de
Stanislas Rigot
Librairie Lamartine (Paris) - ❤ Lu et conseillé par 16 libraire(s)

✒ Stanislas Rigot
(Librairie Lamartine, Paris)
Un homme, Abel, raconte des bribes de sa vie. Il est un tireur hors pair qui, se piquant de philosophie, n’a de cesse de questionner sa place ici-bas. L’action se déroule dans un Far West vaporeux, construit de toutes pièces par Alessandro Baricco, entre mythes et mensonges. Le résultat est un nouveau tour de force romanesque.
Alessandro Baricco revient. Son dernier roman aux allures de conte pour adulte, l’aussi perturbant qu’affolant La Jeune Épouse, date de 2016. Et même si depuis il a publié une pièce de théâtre en trompe-l’œil, Smith & Wesson (2018), et un essai sur le monde moderne, The Game (2019), les années passant, on s’était fait à l’idée que peut-être l’un des plus grands auteurs italiens de sa génération avait décidé de ne plus rien ajouter à un corpus, rien de moins qu’éblouissant, à commencer par les inusables Soie et Novecento : pianiste, véritables piliers de pochothèques de nombreuses librairies. Et puis arrive, presque en catimini, cet Abel qui, avant même la fin de la première page, nous rappelle à quel point il avait pu nous manquer. Car, chez quel autre auteur trouve-t-on ce mélange détonnant de genre plus ou moins dévoyé ? Dans ce western chauffé à blanc, des images fulgurantes de beauté traversent les pages tout en égrenant des réflexions souvent désarmantes et alimentant ainsi un récit qui ne prend jamais la direction attendue. Un mélange délicieux qui finit par laisser son lecteur totalement à la merci de cette centaine de pages, on l’aura compris, mémorables. Alors oui, il est indéniable que nous sommes en présence d’un western avec tout ce qu’il faut de grands espaces, de chevaux, d’indiens (très, très étranges), d’hommes avec des revolvers et des chapeaux. D’autant que le narrateur est un shérif qui a atteint, comme il l’explique très bien, le statut de légende et qui nous raconte sa vie (très, très étrange aussi), sa famille (très, très…), l’amour de sa vie (très…) et ce qu’il pense de tout ça. Car s’il tire plus vite que son ombre, il est aussi philosophe à ses heures perdues. Construit avec une succession de brefs chapitres, dans un récit avançant au bon gré du narrateur, avec un respect relatif de linéarité, Abel envoûte tout en ne révélant que progressivement ses enjeux. Et si les fantômes de Cormac McCarthy et de Bob Dylan planent – il y a pires compagnons de route –, l’originalité de ce récit est de tordre intelligemment toute cette imagerie de l’Ouest pour questionner l’absurdité de nos vies. Il ne reste plus qu’à espérer que le successeur d’Abel ne mette pas autant d’années à nous parvenir.