Littérature française

Jean-Marie Rouart

Napoléon ou la Destinée

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Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Un roman des coups et des cicatrices, un récit d’errance, une histoire des hésitations, des coups du sort espérés, provoqués ou regrettés, le nouveau roman de Jean-Marie Rouart plonge dans l’envers de la légende napoléonienne et nous offre un portrait des plus saisissants de l’homme derrière le mythe.

Napoléon est la face Nord du roman historique français, un sujet à la réputation difficile qui, malgré tout, chaque année, tente toujours autant d’écrivains ; un sujet qui, fidèle à cette réputation, est la cause de nombreux désastres et autres navets ; un sujet tellement traité qu’il est devenu avec le temps presque rédhibitoire pour le lecteur. En cette rentrée littéraire, c’est au tour de l’Académicien Jean-Marie Rouart de s’attaquer à l’une des figures les plus marquantes de l’Histoire de France. Et celui-ci de triompher dès les premiers chapitres des obstacles inhérents à son sujet, en nous offrant une savoureuse et brillante variation sur le mari, le général, le consul et l’empereur, un homme aux multiples facettes souvent méconnues. Le livre débute en septembre 1786, date du retour en Corse d’un Bonaparte en congés de son régiment d’artillerie basé à Valence, plus de sept années après son départ de l’île pour le collège d’Autun. Il a 17 ans. Étonnamment, le volume s’achève en décembre 1969 en Champagne (laissons le mystère sur le choix de cette dernière date). À partir de ce retour malheureux, nous assistons à la transformation de Bonaparte en Napoléon 1er, puis à sa chute, dans un récit nerveux, à l’habile structure elliptique qui effacera parfois les mois et les années en un paragraphe. Il faut se soumettre au redoutable parti pris de l’auteur : raconter cette vie subie lorsque l’écho des batailles s’éloigne, lorsque la pompe n’a plus que des allures de carton-pâte, lorsqu’il ne reste personne d’autre à duper que soi-même, lorsque s’installent les tentations du vide. Et c’est ainsi que se découvre un Bonaparte bien loin de l’image d’Épinal, un Bonaparte aux pulsions suicidaires (parfois mises en œuvre, comme en avril 1814), aux doutes violents, aux mauvaises intuitions, un homme tour à tour trompé et trompant. Ce portrait passionnant, servi par une érudition élégamment et parfaitement digérée, décortique les blessures bien réelles d’un homme que l’amour du romanesque a presque transformé en personnage de son vivant, brouillant un peu plus encore les pistes. Véritable Frankenstein, savant fou à la destinée incroyable, créature ballottée par les impulsions, double et miroir de son auteur, ce Napoléon est humain, terriblement humain. Refusant les passages obligés de la biographie, Jean-Marie Rouart n’en accumule pas moins les scènes mémorables (son désespoir d’amoureux transi lors de son retour à Paris en octobre 1799 ou cette fuite en traîneau aux frontières de l’hallucination lorsqu’il abandonne les restes de sa Grande Armée à la cruauté de l’hiver et des troupes russes), avec la délicieuse ambiguïté qui consiste à rendre cet homme encore un peu plus hors du commun au fur et à mesure que ses faiblesses et défauts grandissent.

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