Littérature française

Gilles Marchand

Les rêves à portée

Entretien par Stanislas Rigot

(Librairie Lamartine, Paris)

Un gamin, Gino, une époque, les Trente Glorieuses : tout est possible. Vraiment ? Trois ans après Le Soldat désaccordé, Gilles Marchand revient avec un roman initiatique débordant d’humanité, une autre traversée de la France d’hier qui se joue des clichés et du sépia pour mieux nous emporter.

Votre nouveau roman commence une décennie après la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte très différent de celui de votre précédent livre, Le Soldat désaccordé.

Gilles Marchand Oui. J'avais envie de raconter un pays qui était en mutation profonde et constante, très rapide. Mais par contre, je n’avais pas prévu d'écrire sur les années 1950 ! En fait, je voulais m'inspirer de l'histoire de l'aérotrain qui se déroule dans les années 1960 et je me suis rendu compte que pour raconter cette histoire-là, il fallait que je remonte le temps. Ces années m'ont alors complètement fasciné parce qu’il y a eu plus de changements entre 1945 et 1970 qu’entre 1800 et 1945 : il commence à y avoir de l'eau dans toutes les maisons, des salles de bains, du chauffage, des voitures, la télévision, la course à l'espace et j'ai trouvé que c'était une époque propice pour avoir des rêves un peu fous.

Et ces rêves un peu fous vont s’incarner avec votre héros, Gino. Pouvez-vous nous le présenter ?

G. M. Gino, c'est un fils d'immigré italien qui va s'installer à la campagne avec sa famille en 1956, au moment où toutes les campagnes se vident au profit de la ville. Gino va à la rencontre de ces gens et se sent assez bien avec eux (même s’il a quand même l'impression de passer à côté de son époque parce que c'est dans les villes, aux États-Unis notamment, que toutes les évolutions se produisent). Il comprend aussi que, pour s’intégrer, c’est plus facile lorsque l’on sait raconter des histoires ! Alors il se met à en raconter dans la cour de récréation mais aussi au bistrot, chez Jean-Georges, un des grands lieux du livre, qui, avec les journaux à disposition, est une fenêtre ouverte sur le monde.

 

Le long du récit, enlevé, souvent drôle, nous allons voir Gino grandir, tomber amoureux, raconter de nombreuses histoires (il a un don pour ça) et rencontrer une formidable galerie de personnages.

G. M. Oui parce que la vie est comme ça. Je suis assez fasciné par tous ces gens qu'on croise, à qui on ne parle pas souvent, qu'on ne connaît pas : une dame promène son chien dans tous mes livres et elle symbolise, à sa manière, toutes ces vies traversées.

 

Au fur à mesure des chapitres, vous allez glisser des inserts, à commencer par des pages de publicité.

G. M. Oui, je pense que c'est important de consommer (rires). En fait, quand on raconte les années 1950, on se rend compte que la publicité est un décor omniprésent avec des slogans qui poussent à aller plus vite, à avoir plus et je me suis servi de ces éléments, sans rien changer à leur texte, pour illustrer l'époque.

 

Vous allez aussi insérer de petites biographies pour nous raconter les nombreux personnages secondaires.

G. M. Écrivant toujours à la première personne, j'avais envie de m'essayer à autre chose : il y a des personnages dont la vie ne peut pas être connue par mon narrateur et je voulais avoir un regard un peu plus omniscient et différent pour parler de ces gens qui partagent notre vie, de ce qu’on leur apporte sans le savoir et de ce qu’ils nous apportent sans que l’on en ait forcément conscience.

 

Ces inserts apportent aussi d’autres tonalités, une certaine gravité parfois, ce qui fait que le livre semble progressivement refuser les différentes cases, comme celle du roman historique, dans lesquelles on pourrait l’enfermer.

G. M. J'avais envie d'explorer différentes manières de raconter les histoires. C'est assez fou de se dire qu’aujourd'hui, alors qu’on se raconte des histoires depuis des millénaires, on cherche toujours des manières un peu différentes de s'approprier une époque, de s'approprier des personnages et d'essayer d'être le plus juste possible par rapport aux gens qui ont vécu ces moments-là.

 

De nombreux sujets traversent le texte : qu'est-ce qui a donné naissance à ce nouveau roman ?

G. M. Deux envies. Celle d’écrire sur ces fêtes de village, ces fêtes foraines qui reviennent plusieurs fois dans le livre. La seconde, c’est histoire de l’aérotrain, ce véhicule en compétition avec le TGV, un train sur coussin d'air qui fascinait le monde entier et qui est complètement tombé dans les oubliettes de l’Histoire : j'ai toujours une certaine tendresse pour les choses qui n'aboutissent pas.

 

 

« Qu’est-ce qui fait une vie réussie ? » À l’heure du bilan, Gino se retourne sur les décennies qui viennent de s’écouler, forcément trop vite. Direction les années 1950, la foire d’un petit village où sa famille passe ses vacances ; il y rencontre Roxane, une jeune fille dont il tombe amoureux mais qui disparaît aussitôt : sa vie vient de basculer. Autour de lui, la France se reconstruit, la société dite de consommation fait ses premiers pas et les espoirs générés sont nombreux. Mais comment trouver sa place dans un monde qui s’emballe sans vous ? Drôle, poétique, émouvant, toujours juste, ce nouveau roman de Gilles Marchand est le parfait antidote à la moindre morosité.

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