Littérature étrangère

Cormac McCarthy

La Trilogie des confins

  • Cormac McCarthy
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par François Hirsch et Patricia Schaeffer
    L’Olivier
    03/11/2011
    1200 p., 24 €
  • Chronique de Stanislas Rigot
    Librairie Lamartine (Paris)
  • Lu & conseillé par
    14 libraire(s)
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Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Ce chef-d’œuvre, dont on a craint un temps qu’il fût un chant du cygne, est aujourd’hui édité en un seul volume (et vendu au prix d’un seul volume). L’occasion de (re)découvrir ce triptyque tout en majesté d’un écrivain majeur, une juste piqûre de rappel… avant la route.

Cormac McCarthy, quelques syllabes qui claquent comme le cliquetis des armes dont il aime à parsemer ses récits, quelques syllabes dont la musicalité, mais aussi l’apparente sécheresse, semblent annoncer le style de cet auteur hors normes, paradoxalement mis en lumière par un crépusculaire roman, La route. Cormac McCarthy, donc, aurait eu une vie avant ce texte et il aurait même eu une vie avant No Country for old men (paru en 2005), que beaucoup ont vu (merci les frères Coen) à défaut d’avoir lu. Cette vie antérieure est opportunément exhumée par L’Olivier, qui a l’excellente idée de regrouper en un tome De si jolis chevaux, Le grand passage et Des villes dans la plaine, publiés respectivement en 1992, 1994 et 1998. À noter que si chacun des romans qui constitue la Trilogie des confins peut se lire séparément, les liens qui vont de l’un à l’autre et les résonances qui les traversent donnent une ampleur singulière à l’ensemble et font de cette œuvre l’un des sommets d’une carrière qui, par ailleurs, ne manque pas de hauteurs.

Le lecteur y suit dans un premier temps (De si jolis chevaux) les aventures de John Grady, qui, dans son apparent refus de modernité (l’action démarre en 1949), quitte le ranch familial pour gagner à cheval un Mexique aux allures de paradis des cow-boys. Le second mouvement (Le grand passage) met le lecteur dans les pas du jeune Billy Parham, lui aussi déterminé à gagner le Mexique (l’action se déroule dans l’entre-deux-guerres), mais pour d’autres raisons puisqu’il s’agit dans son cas de ramener sur sa terre natale une louve. Le troisième livre (Des villes dans la plaine) réunit les deux héros (Grady et Parham) dans un ranch du Nouveau Mexique.

Si la parution de ces titres fut pour l’auteur l’occasion de franchir un palier en termes de renommée (le National Book Award lui a été décerné pour De si jolis chevaux), elle constitue aussi une étape importante en termes d’écriture. Sept ans auparavant, McCarthy avait publié Méridien de sang, considéré par de nombreux lecteurs comme son chef-d’œuvre, un roman halluciné qui est au western ce qu’Apocalypse Now est au film de guerre, un incroyable voyage aux frontières de l’être. Mais ce livre, que Bret Easton Ellis regarde comme le plus violent de la littérature américaine (titre qu’on remet toutefois régulièrement à American Psycho), posait la question des limites : qu’est-ce que son auteur pourrait écrire ensuite ? La réponse est ici éclatante : refusant la surenchère, il épure ses récits initiatiques dans un décorum de western en berne, où les héros, errant au sein d’une nature toute-puissante, sont déjà parés d’ombres, et nous parle de l’homme et de sa condition. Il déploie une fois de plus cette langue qui oscille entre la stricte économie stylistique (les dialogues réduits au minimum sont magnifiques) et des envolées lyriques bouleversantes issues d’une poésie d’un autre temps, confirmant au passage que sa réputation de géant des Lettres américaines ne doit rien à une quelconque mode. Indispensable. Marmoréen.

« Une chose grimaçant au fond des yeux de la grâce telle une Gorgone dans une mare automnale ».

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