Littérature étrangère

Russell Banks

Un membre permanent de la famille

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Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Trois années après la parution du chef-d’œuvre Lointain souvenir de la peau (Babel), Russell Banks revient avec un recueil de douze nouvelles, comme autant d’éclats de vie qui scintillent longuement une fois le livre reposé. Comment ne pas tomber sous le charme de ce conteur hors pair de la condition humaine ?

Le sixième recueil de nouvelles de Russell Banks – le précédent, L’Ange sur le toit, était paru en 2001 chez Actes Sud –, associe inédits et textes publiés dans divers magazines. Mais derrière ce qui pourrait s’apparenter à un assemblage disparate (voire une compilation de fonds de tiroir…), se dresse en fait un solide édifice d’une étonnante et redoutable cohésion, où l’auteur exprime une fois encore, avec tout le talent qu’on lui connaît, sa profonde connaissance de l’être. Ces douze nouvelles (sans aucun déchet – est-il nécessaire de le souligner ?) plongent en quelques pages au cœur de vies avec une aisance et une lucidité parfois presque effrayantes, et proposent autant d’instantanés de ces quotidiens souvent grisâtres où se jouent (ou peuvent se jouer, ou pourraient se jouer) un changement, un moment de bascule, la tentation du mieux face à une hésitation, une fissure, un bégaiement du destin. Quel point commun entre ce Marine à la retraite, exsangue financièrement, énième victime de la crise économique qui semble avoir trouvé une étonnante solution à son problème d’argent, et cette vieille dame soudainement seule qui décide de rester à Miami au soleil pour y finir sa vie, loin de chez elle et des siens ? Quel point commun entre cet homme fraîchement divorcé qui n’arrive pas à se débarrasser du poids de son couple dans cette petite ville où son ex-femme s’est installée, à quelques encablures avec son nouveau mari, et cette femme qui, ayant réuni après des mois d’efforts la somme nécessaire pour s’acheter une voiture d’occasion, décide enfin d’aller voir de plus près une concession ? Quel point commun entre cet homme récemment transplanté, apprenant que la veuve de celui à qui il doit de pouvoir continuer à vivre aimerait beaucoup le rencontrer, et cet artiste contemporain à qui l’on annonce, à sa grande surprise, qu’il est l’heureux récipiendaire d’un prestigieux prix, richement doté qui plus est ? L’humain. L’humain et cette formidable capacité qu’a Russell Banks d’en parler, d’en synthétiser l’essence, d’en décrire les tenants et les aboutissants, d’évoquer ces fils, ceux qui maintiennent au sol et ceux qui nous lient les uns aux autres, qui soudainement apparaissent si ténus devant les événements. L’humain et cette finesse d’analyse qu’il possède pour raconter les êtres et la vie telle qu’ils l’avaient imaginée, et la vie telle qu’ils la vivent réellement. Avec ce nouveau recueil, il rappelle qu’il peut être aussi renversant dans un ample roman que dans ces petites histoires de quelques pages, qui constituent bien plus qu’une suite de vignettes, nous apparaissant aussitôt familières. Et si un certain comité du Grand Nord se penchait enfin de nouveau sur le cas des États-Unis, il ferait un candidat idéal à la succession d’un Patrick Modiano, tant sur le fond – cet humanisme triomphant sans l’ombre d’une mièvrerie, totalement en phase avec la société et son évolution –, que sur la forme, cet héritage des grands classiques américains.

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