Polar

Don Winslow

Corruption

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Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Délaissant (pour un temps) la fournaise de la frontière mexicaine, Don Winslow revient dans sa ville d’origine et délivre le grand roman sur le New York d’aujourd’hui, un monstre de 600 pages dans les entrailles d’une ville qui, derrière sa vitrine touristique embourgeoisée, brûle toujours.

Denny Malone est le roi de la Manhattan North Task Force, troupe d’élite constituée de vétérans durs à cuire, chargée d’appuyer les traditionnelles forces de police plus particulièrement dans le nettoyage du trafic de drogue et celui des armes. Seulement, après des années d’activité, lui et ses frères d’armes ont tendance à profiter des avantages de leur position, à se servir ici et là. Un jour, lors d’une descente musclée, ils mettent la main sur un gros paquet de drogue : les vrais ennuis peuvent commencer. Véritable plongée en apnée dans le monde des flics new-yorkais, des flics coincés entre tradition et avenir incertain, des flics devenus de plus en plus des cibles au fil du temps, Corruption se confronte à la mythologie d’une ville et à celle d’un métier pour en extirper un regard neuf et puissant, se positionnant fièrement aux côtés des légendes du coin tel Serpico, French Connection ou 87e district, assaisonnant le tout de dialogues sanglants et de scènes d’action qui ne le sont pas moins. Don Winslow signe une fois encore le roman noir de l’année.

 

PAGE — Pourquoi avez-vous choisi de situer votre nouveau livre à New York et pourquoi avoir choisi le New York d’aujourd’hui ?
Don Winslow — Je suis né à New York, dans le même quartier que le héros du livre, Denny Malone ; j’ai vécu et travaillé là pendant des années et j’ai toujours adoré cette ville. Enfant, j’ai été très influencé par les films policiers et les romans noirs qui parlaient de cette ville. Ils sont l’une des principales raisons pour lesquelles j’ai voulu devenir un jour écrivain. Je tenais à écrire un livre dans la grande tradition du genre mais je tenais absolument à y apporter un aspect contemporain. Je savais qu’il devait se dérouler à New York même si j’étais un peu effrayé d’écrire un énième roman sur les policiers new-yorkais. Et pourtant, quel terreau ! Il n’y aucun endroit au monde comme ici. Ayant beaucoup écrit sur la Californie et le Mexique ces dernières années, cela m’a pris des mois pour reprendre le pouls de la ville.

P. — Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est cette Manhattan North Task Force dans laquelle évoluent les héros de Corruption ?
D. W. — Il s’agit d’une création mais basée sur de réelles forces d’intervention qui ont été créées ici à différentes époques. Leur travail est de se concentrer sur un certain type de crimes – dans le roman, il s’agit de s’en prendre aux gangs via la drogue et les armes. Elles sont en général composées d’une élite, des policiers d’expérience ayant effectué de grandes opérations, de grandes arrestations et ayant de gros ego. On leur donne beaucoup d’indépendance et d’autonomie, ce qui peut être une bonne chose ou une mauvaise. Ou les deux.

P. — Le personnage principal, Denny Malone, le roi de ses rues, la légende de cette Task Force, semble en permanence pris entre deux mondes : un grand flic et un flic corrompu ; un homme du passé et un homme se battant pour le présent ; un homme qui aime sa famille mais qui est divorcé. Qui est votre héros ?
D. W. — Vous y répondez en partie dans la question : Denny est un homme en perpétuel conflit. Il veut se conformer aux grandes traditions mais il en considère certaines comme nocives et contraignantes pour lui et son travail. Et il veut s’affranchir du rôle qu’il a hérité de sa famille et de son environnement. Il aime sa femme et ses enfants mais suffoque dans ce monde trop étroit, ayant peur de gâcher sa vie. Il veut vraiment être un bon flic mais il n’est pas vraiment sûr de ce que cela signifie encore.

P. — Corruption est un nouveau tour de force très documenté : comment travaillez-vous ?
D. W. — Je connais des policiers depuis toujours. Mon grand-père en était un. J’ai travaillé sur des affaires avec des policiers, sur d’autres contre eux (ndlr : Don Winslow a été détective privé). Dans le cas de ce livre, j’ai passé un nombre infini d’heures en leur compagnie, en patrouille, dans les bars, au restaurant et chez eux, avec leur famille. J’ai écouté leurs histoires. Ils ont été incroyablement généreux avec moi, donnant de leur temps, me racontant leurs histoires. En ce qui concerne New York, il s’agit de mes rues, j’y ai vécu et travaillé et elles feront toujours partie de moi. Je ne me fatigue jamais d’arpenter ses rues.

P. — À l’instar de Cartel (Seuil et Points), Corruption est sombre et pessimiste. La situation est-elle aussi mauvaise ?
D. W. — Est-ce vraiment sombre et pessimiste ? Je n’ai pas le recul nécessaire pour le dire. Je peux simplement vous garantir qu’il n’y a rien dans ce livre qui ne soit arrivé d’une manière ou d’une autre. Regardez, il y a 38 000 flics au sein du Département de la Police de New York alors, forcément, tous ne se retrouvent pas dans ce que j’ai écrit. Mais certains oui. Tous les flics avec qui j’ai parlé suite à la parution du livre m’ont dit que j’avais mis dans le mille. D’autre part, je ne vois pas le livre comme sombre, je le vois comme réel, vrai. Et si c’est sombre, qu’il en soit ainsi. Au regard du travail de la police en général, je suis optimiste, les choses vont dans le bon sens avec l’arrivée de nouvelles générations de policiers, plus diverses, plus réfléchies, plus enclines à faire les choses différemment.

 

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