Littérature étrangère

Truman Capote

Mademoiselle Belle

illustration

Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Et si à l’ombre des mastodontes de cette fin d’année et autres têtes couronnées se trouvaient quelques savoureuses variations d’œuvres historiques, des éclats d’auteurs légendaires, offrant, chacun à leur manière, une délicieuse lecture à la dissidence salutaire. Là une introduction, là une (ré)interprétation. Partout de l’envie.

À tout seigneur, tout honneur. Débutons avec Shakespeare. 2016 a été marquée par les commémorations du 400e anniversaire de la mort du barde de Stratford et, l’époque et les moyens dont elle est nantie étant ce qu’ils sont, les étals des librairies ont subi l’assaut vigoureux de nombreux ouvrages prétendant s’inscrire de manière plus ou moins judicieuse dans ce corpus aux allures de sixième continent. On aurait pourtant tort de négliger par lassitude le Hamlet illustré par Aki Kuroda (artiste d’origine japonaise établi en France depuis de longues années), publié dans la collection « Blanche » de Gallimard. Un outsider qui pourrait clôturer l’année en grande majesté. En effet, dans ce grand format où avait été présentés successivement Un Amour de Swann illustré par Pierre Alechinsky, et Calligramme de Guillaume Apollinaire, cette version d’Hamlet, dans la splendide traduction de Jean-Michel Déprats, est d’une rare présence, d’une violente beauté, tant l’artiste semble investi de ce texte mythique. Restons de ce côté de la Manche, mais traversons quelques siècles pour retrouver un autre sujet de sa Majesté en la personne d’Oscar Wilde, avec une version non censurée du Portrait de Dorian Gray. Non censurée ?… kesako ? En 1889, Oscar Wilde se voit proposer d’écrire pour le magazine américain Lippincott’s Monthly. Il envoie une première version du Portrait. Cette première version est, avant sa parution en 1890, retouchée par le directeur du magazine, tout autant impressionné qu’effrayé par certains aspects du texte. Puis à sa parution en volume en 1891, le texte est à nouveau remanié par Wilde, qui en profite pour ajouter chapitres et préface, désamorçant un peu plus les aspects les plus sulfureux du texte. La version que publie aujourd’hui Grasset est la première traduction du manuscrit original. Or, si cette version souffre de l’absence des réparties d’une rare drôlerie de Lord Henry, elle profite de l’absence de l’histoire secondaire (la vengeance du frère de Sybil), qui se greffait de manière un peu forcée au récit, et de passages plus explicites quant à l’homosexualité. Le résultat est plus ramassé, plus noir. Et encore plus vénéneux. Gagnons le continent et arrêtons-nous un instant au pied d’un des monuments de la littérature mondiale, la bien-nommée Montagne magique de Thomas Mann, publié en 1924. Fayard a l’excellente idée de republier aujourd’hui ce texte aussi mythique que peu lu, dans une magnifique nouvelle traduction de Claire de Oliveira, qui avait déjà œuvré avec de grands auteurs contemporains à l’univers marqué et à la langue particulièrement singulière (Elfriede Jelinek, Herta Müller…). Le résultat est, sans jeu de mots (ou alors juste un peu), à la hauteur de ce texte et de son auteur, prix Nobel en 1929. Outre-Rhin, la réputation de ce texte aux multiples entrées (le terme de roman semble un rien réducteur pour circonscrire l’ensemble des territoires défrichés par ces 780 pages), est digne de celle de notre Recherche du Temps perdu national. Hans Castorp n’attend plus que vous pour entamer une ascension vers le sanatorium de Davos. Et si d’un aboutissement, nous passions aux prémices, en prenant la direction des États-Unis. Grasset publie, d’un certain Truman Capote, Mademoiselle Belle, recueil de nouvelles au sous-titre limpide : Nouvelles de jeunesse. Quatorze textes sont regroupés, écrits avant l’âge de 20 ans par son auteur, et retrouvés récemment parmi les archives de la New York Library. Et si ces nouvelles ne sont pas des fonds de tiroir servant à financer le plan d’épargne retraite d’un quelconque ayant droit (dans le cas de Capote, des textes de qualité relative, ou inachevés, sont à la disposition de toute personne intéressée…), elles ne sont pas non plus le trésor englouti, le chef-d’œuvre inconnu. Elles sont les récits d’un auteur qui a déjà un sens solide de sa carrière et de son style, et qui déploie, d’une histoire à l’autre, son amour du Sud.

Les autres chroniques du libraire