Littérature étrangère

Chigozie Obioma

La Prière des oiseaux

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Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Après le remarqué Les Pêcheurs (L’Olivier et Points), qui consacrait son entrée en littérature, Chigozie Obioma livre un nouveau roman splendide qui raconte la destinée tumultueuse d’un jeune éleveur de volailles, prêt à tout pour conquérir la femme aimée. Une fable virtuose sur le destin à la mode igbo.

Parcourant du regard « le champ gris de l’humanité », le jeune Chinonso vit dans une ville nigériane en parfaite harmonie avec les créatures à plumes qu’il élève. Il cultive aussi tomates, maïs et manioc pour subvenir à son existence. Orphelin de père et de mère, assoiffé d’une présence à ses côtés, il goûte une solitude chagrine que nul amour durable ne vient réchauffer. Jusqu’au jour où il croise sur sa route une jeune femme sur le point de sauter d’un pont. Affolé, il jette deux de ses poulets dans la rivière afin de détourner le cours des choses. Ce geste inaugural scelle leur rencontre et les lie indéfectiblement. Ils tombent amoureux l’un de l’autre. Mais l’idylle naissante s’assombrit dès lors que la riche famille chrétienne de Ndali s’y oppose. L’histoire d’amour bascule progressivement en histoire de classe, une étudiante en pharmacie ne pouvant fréquenter un fermier sans diplôme. Pour garder son amour et prouver sa valeur dans une société où les faibles et les déshérités sont écrasés par les puissants, Chinonso sacrifiera une bonne partie de lui-même, quitte à devenir ce qu’il n’est pas. Il finira par se retrouver seul, loin de Ndali et de ses proches, dans un étrange pays de désert, de poussière et d’hommes à la peau blanche. Le début d’un désastre annoncé et de la disparition progressive des rêves de bonheur du jeune homme. Dans cette sublime épopée réaliste aux accents homériques et shakespeariens, le jeune prodige des lettres nigérianes livre une variation originale autour de la déchéance d’un homme et de son impossibilité à échapper à son destin. Un conte moderne qui donne à entendre « l’orchestre des minorités » symbolisant ceux qui vivent relégués dans les marges, tous ceux qu’on a réduits au silence et qui ont été dépouillés de toute dignité. Cette tragi-comédie déploie aussi avec inventivité les croyances et les spiritualités de la civilisation des « grands anciens » qui guident encore les humains et jouent un rôle important dans La Prière des oiseaux. Dans cette cosmogonie igbo, les hommes sont habités par des esprits protecteurs, appelés les chis. Et pour le plus grand plaisir du lecteur, celui de Chinonso nous raconte cette fable. Tantôt grave, tantôt malicieux, il narre l’histoire de son hôte non sans railler de bon cœur les faiblesses des hommes. Un narrateur conteur né, « versé dans les usages de l’humanité », qui nous remémore « que le destin est une langue étrange, qu’en une vie toute entière un homme et son chi ne sauraient maîtriser ».

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