Littérature étrangère

Rosamund Haden

L’Amour a le goût des fraises

illustration

Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Dans L’Amour a le goût des fraises, deuxième roman de la Sud-Africaine Rosamund Haden, les personnages s’adonnent à un étrange ballet autour du peintre Ivor Woodall, récemment disparu. Les sentiments tourbillonnent et les fragilités s’exacerbent. Sensible et magique.

Françoise a fui les folies meurtrières de son Rwanda natal, traversé des frontières et travaille comme caissière dans une supérette. Lectrice compulsive de la revue National Geographic, elle veille sur sa sœur, lycéenne espiègle, qui a plus d’un tour dans son sac et la langue bien pendue. Entre deux chamailleries, ces deux-là sont inséparables et tentent de mener une vie presque normale au Cap. Stella, dont le sourire est la « première ligne de défense contre le monde », est chroniqueuse pour le journal féminin Fougue, le genre à énumérer « Dix tenues à panacher pour toutes les occasions ». La jeune femme vient de perdre sa mère dans un accident de voiture et consulte chaque semaine une thérapeute pour lutter contre une anxiété grandissante. Elle s’interroge aussi inlassablement sur son avenir sentimental. Françoise est noire, Stella est blanche, et leurs histoires, alternant au gré des chapitres, sondent avec délicatesse la complexité des relations humaines dans la société post-apartheid, et la difficulté de renouer avec le présent face aux morsures des souvenirs. À ces deux figures féminines, se mêlent dans un savant chassé-croisé les destinées de Tom, jeune libraire discret qui écrit aussi des nécrologies pour la presse, Jude, brillante étudiante provocante, ou encore Luke, junkie fragile à la beauté saisissante. Autant de solitudes qui esquissent une jeunesse sud-africaine en quête de repères. Mais quel est ce fil ténu unissant les différents protagonistes ? Un homme : le peintre Ivor Woodall, célèbre pour ses nus et ses huiles, qui vient de disparaître soudainement. Tous ont été des élèves de l’artiste lors de son cours de dessin d’après modèle. Et lorsque son compagnon annonce sa mort et les convie à une exposition posthume, « afin qu’ils puissent se voir par les yeux d’Ivor », la confusion règne. De l’Afrique du Sud au Rwanda, en passant par la Grèce, Rosamund Haden explore avec délicatesse les incidents de la vie et notre capacité à laisser derrière soi les ombres du passé. Mais son écriture polyphonique offre par-dessus tout une magnifique variation sur l’amour sous toutes ses formes, qu’il soit maternel, éphémère, érotique, étouffant, filial, passionné, capricieux... Dans ce beau roman envoûtant, où les personnages se croisent pour mieux s’éloigner, et se perdent pour mieux se retrouver, l’amour a un goût doux-amer. Et le récit, diablement bien mené, possède le parfum des douceurs acidulées de l’enfance. En mettant en scène des personnages profondément humains, loin des livres qu’aime lire Stella « sur de jeunes héroïnes ayant des vies rangées, des tenues harmonieuses avec colliers assortis et des histoires d’amour qui n’étaient pas insatisfaisantes », L’Amour a le goût des fraises a le pouvoir d’« enrayer la fragilité qui s’installe dans [notre] cœur, se répand dans [notre] corps comme une pellicule de glace », en nous faisant nous sentir moins seuls.

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