Littérature française

Aurélie Jeannin

Préférer l’hiver

illustration

Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Le temps d’un hiver, en pleine forêt, deux femmes touchées par le deuil – une mère et sa fille – tentent de soulever leur chape de chagrin. Un sublime voyage sylvestre qui sonde l’intimité au féminin.

L’une a perdu son fils et son petit-fils, l’autre son frère et son fils. Face à l’indicible et à la peine inépuisable, ces deux solitudes se replient dans le creux d’une cabane en bois, au cœur d’une nature âpre et nourricière, pour se reconstruire, pas après pas, et vivre à leur mesure. Au présent et côte à côte. Chancelantes, la mère et la fille cherchent à retrouver l’équilibre en épousant le pouls des arbres et de l’hiver. De la neige qui recouvre tout et adoucit les âmes. De la lenteur qui est une garantie de survie. Elles vivent dans le dépouillement et mangent peu. Au cours de longues journées modelées par le travail physique, la lecture, l’écriture, l’hibernation et la connexion aux éléments, ces deux femmes devenues atones cicatrisent et renouent progressivement avec leurs émotions. C’est ce chemin vers un long apaisement des cœurs que conte Aurélie Jeannin à mots comptés, infiniment incarnés et poétiques. Dans ce splendide récit silencieux et contemplatif, elle met en scène une quête immobile, où les silences et les manifestations corporelles sont plus signifiants que les mots, et nous confie une variation singulière sur la façon de se reconstruire après un effondrement intime. Préférer l’hiver, c’est aussi un beau chant narré au féminin par une jeune femme qui s’interroge sur la féminité, la maternité, l’amour et la transmission. Une ode inoubliable à la forêt dans laquelle la mère use d’une phraséologie quasiment féminine, qui se dessine « comme un ventre rond aux seins pointus ». On ne parle pas de repas mais de nourriture ou d’offrandes. On ne lit pas de livres mais de la littérature. En somme, un premier roman magnétique, parcouru de lumineuses éclaircies, qui nous apprend à composer avec ce que nous sommes.

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