Littérature étrangère

Lauren Groff

Les Furies

  • Lauren Groff
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Carine Chichereau
    Points
    01/02/2018
    504 p., 8.50 €
  • Chronique de Sarah Gastel
    Librairie Terre des livres (Lyon)
  • Lu & conseillé par
    15 libraire(s)
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Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Âmes aux cœurs tendres, passez votre chemin. Le mariage, on le devine, se dévoile souvent dans ses secrets plutôt que dans ses apparences criblées par les regards curieux. Lauren Groff en fait la démonstration dans le remarquable roman Les Furies qui déjoue nos attentes.

Succès littéraire de l’année 2015 aux États-Unis, traduit dans plus de trente langues, Les Furies, plébiscité par Barack Obama lui-même, sort aujourd’hui en poche aux éditions Points. De quoi se pencher sur ce phénomène éditorial qui démontre que l’on peut encore écrire un « roman du mariage », faire de ce thème vintage une formidable anthropologie contemporaine de nos manières d’exister à soi et à l’autre. De s’accepter et d’aimer l’autre. De Henry James à James Salter, Lauren Groff a défriché le sujet et l’a mis en pièces pour le renouveler prodigieusement. Deux décennies dans la vie d’un couple. Lors d’une soirée à l’université, Lotto et Mathilde se rencontrent et vivent un coup de foudre. Ils sont beaux et confiants en l’avenir. Follement épris, le rire de l’un semble sortir de la gorge de l’autre. Ils se marient quelques semaines plus tard faisant fi des oppositions parentales. Les années 1980 passent au rythme de l’élaboration d’un destin et de soirées arrosées autour d’une myriade d’amis. Soutenu par la discrète Mathilde qui fait vivre le ménage grâce à un travail dans une galerie d’art, Otto devient un dramaturge renommé et connaît le succès. Tout semble légèreté et fête dans cette idylle. Otto et Mathilde donnent l’image d’un partenariat totalement réussi. Mais c’est sans compter le talent de l’auteur qui amorce un second mouvement qui va tout bouleverser. Le titre anglais binaire Fates and Furies (Fortunes et Furies) prend alors toute son ampleur et éclate dans nos tympans. Tout se renverse et explose. Sous la plume cruelle et lucide de Lauren Groff, le couple est réduit en morceaux, dans une langue organique et ténébreuse. Des divinités semblent s’abattre dans un déchaînement de fureur. Et c’est la douce Mathilde qui nous raconte sa version de l’histoire. Mathilde qui lacère de ses mots l’auréole qui couvrait son couple. Les années ont ravi les rêves. Le mariage est un tissu de mensonges. Flirtant avec les codes du polar, le lecteur va d’étonnements en surprises. Satire sociale et variation sur l’amour aux accents de tragédie grecque, presque hitchcockiens, Les Furies est un roman intelligent, foisonnant et étonnant. Un texte virtuose dont la beauté s’échappe des fissures et des fragilités à l’image des premières lignes de l’ouvrage : « Ils s’appelaient Loto et Mathilde. L’espace d’une minute, ils contemplèrent une mare remplie de créatures pleines d’épines qui, en se cachant, soulevaient des tourbillons de sable. Il prit son visage entre ses mains et embrassa ses lèvres pâles. Il aurait pu mourir de bonheur en cet instant. Il eut une vision, il vit la mer enfler pour les ravir, emporter leur chair et rouler leurs os sur ses molaires de corail dans les profondeurs. Si elle était à ses côtés, pensa-t-il, il flotterait en chantant. Certes, il était jeune, vingt-deux ans, et ils s’étaient mariés le matin même en secret. En ces circonstances, toute extravagance peut être pardonnée. » Splendide.

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