Essais

Amy Goldstein

Janesville

illustration

Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Après un reportage de plusieurs années auprès des habitants de Janesville, touchés par la crise économique de 2008, la journaliste Amy Goldstein donne vie et mots à cette communauté en souffrance. La chronique percutante d’une Amérique déboussolée qui dit les incertitudes des jours à venir.

Édifiée autour du fleuve Rock, Janesville, petite ville américaine de l’État du Wisconsin, abrite près de 65 000 personnes. Entourée de terres agricoles, elle fut aussi un fleuron de l’industrie mécanique. Elle accueillit ainsi la plus ancienne usine du géant automobile américain ainsi que celle des stylos Parker. Depuis le jour de la Saint-Valentin de 1923, l’entreprise General Motors, qui emploiera plus de 7 000 ouvriers à son apogée, rythme les journées et les saisons de la cité laborieuse, assurant la prospérité de la région. Lorsque la dernière voiture sort de la chaîne de montage en décembre 2008, en pleine récession, scellant la fermeture définitive de la manufacture, c’est la sidération. Comment un endroit, qui n’a jamais fait partie de la Rust Belt et qui a toujours échappé aux adversités économiques, peut-il vivre une telle catastrophe ? Et s’en relever ? C’est précisément le sujet du livre qui s’attache à raconter ce qui se passe ensuite, les années d’après. Le récit est solidement arrimé aux faits, à la chronologie et à la spatialité, dans la veine du reportage. Mais ce qui intéresse avant tout Amy Goldstein, c’est la matière humaine qui se cache derrière l’événement historique et économique, inscrivant de facto Janesville dans la lignée de textes parus récemment qui interrogent le déclin industriel et son impact sur les métamorphoses de la classe moyenne et ouvrière. On pense à Hillbilly élégie de J.D. Vance (Le Livre de Poche) ou encore à Nomadland de Jessica Bruder (Globe). Ainsi, en grattant un peu l’image du rêve américain, l’auteure rend compte avec empathie du quotidien des habitants et des travailleurs de la cité démocrate. Elle transcrit les rêves écornés, les espoirs désespérés et les efforts pour se réinventer. Et nous pousse à porter le regard derrière les nombreux panneaux « À vendre » – motif symbolique du récit –, parsemant les maisons et les allées de la ville, pour faire connaissance avec les employés licenciés et leurs familles. Les figures politiques et syndicalistes, les formateurs ou les entrepreneurs locaux viennent également à notre rencontre dans des chapitres qui rendent compte, à travers une multiplicité de points de vue, d’une histoire humaine et américaine. Janesville est un remarquable reportage constatant « que tout faire comme il faut peut ne pas suffire », et un hommage saisissant aux individus rétrogradés par le rouleau compresseur libéral, en tout lieu et toute époque.

Les autres chroniques du libraire