Littérature étrangère

Javier Cercas

L’énigme capitale

Entretien par Sarah Gastel

(Librairie Adrienne, Lyon)

Javier Cercas reçoit du Vatican en 2023 une invitation impossible à refuser : accompagner le pape François dans un voyage officiel en Mongolie. Traversé par l’un des plus grands mystères de l’histoire de l’humanité, voici le projet le plus fou, brillant et drôle de cette rentrée.

Quelle est la genèse de ce livre ?

Javier Cercas En mai 2023, un émissaire du Vatican m’a proposé d’accompagner le pape en Mongolie et de m’ouvrir grand les portes de l’institution. C’était la première fois que l’Église faisait une telle proposition. Et la question n’est pas de savoir pourquoi un athée et anticlérical comme moi l’a acceptée mais comment j’aurais pu ne pas le faire. Durant ces deux derniers millénaires, l’Église catholique a tenu une place prépondérante en Occident, il faudrait être fou pour décliner l’opportunité de comprendre ce qu’il s’y passe réellement. L’aventure fut extraordinaire et son résultat est un livre hybride : un mélange de chronique, d’essai, de biographie, d’autobiographie. Un roman, donc – même sans un atome de fiction –, parce que seul le roman possède l’incroyable capacité d’intégrer tous les autres genres et de les transcender.

 

Dans votre livre, vous vous envolez pour la Mongolie qui compte une minuscule minorité catholique. Qu’est-ce que cette destination révèle du pape François ?

J. C. François a voulu être missionnaire et pensait que si le chrétien idéal existait, ce serait le missionnaire, celui qui abandonne tout pour partir au bout du monde non pas pour évangéliser – le prosélytisme est interdit dans l’Église catholique – mais pour tendre la main. François pensait que le renouveau de l’Église – pervertie par des siècles de cléricalisme, de puissance politique et de richesses – ne pourrait venir que de la périphérie dans laquelle vivent les missionnaires.

 

Au cœur de votre texte se trouve une énigme qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page. Seriez-vous d’accord pour le qualifier aussi de roman policier ?

J. C. Je crois que tous mes romans sont des romans policiers parce qu’en leur cœur résident une énigme et quelqu’un qui tente de la déchiffrer. Ici, l’énigme est très particulière. Quand le Vatican m’a fait cette proposition, j’ai d’abord pensé à ma mère qui était profondément croyante et qui, à la mort de mon père, disait qu’elle le retrouverait dans l’au-delà, comme le lui avait promis sa religion. Et j’ai su alors ce que serait ce livre et c’est ce qu’il est : l’histoire d’un fou sans dieu – moi, élevé dans le christianisme et qui, à un moment, ai perdu la foi – qui va chercher le fou de Dieu – François, lequel s’est choisi ce nom en hommage à François d’Assises qui s’appelait lui-même le fou de Dieu – et ce jusqu’au bout du monde – symboliquement la Mongolie – pour lui poser une question aussi élémentaire qu’essentielle – est-ce que ma mère verrait mon père après la mort ? – et pour écouter sa réponse et la rapporter à ma mère. L’énigme qui parcourt ce livre est donc l’énigme centrale du christianisme et une des énigmes centrales de notre civilisation : la résurrection de la chair et la vie éternelle.

 

Votre roman traite de la place de la croyance dans nos vies. À notre époque marquée tout à la fois par la sécularisation et une ouverture tous azimuts aux quêtes spirituelles, quelle place la littérature peut-elle occuper dans ce paradoxe ?

J. C. La littérature est d’abord un plaisir mais elle est surtout une façon de vivre plus, d’une façon plus riche, plus complexe et plus intense. Peut-être qu’à notre époque elle représente une forme sécularisée de religion. Aucun écrivain n’a échappé à la question de savoir si la littérature peut sauver le monde. La réponse de Le Clézio est ma préférée : « Qui l’a donc sauvé ? ».

 

Vous rapportez cette phrase du pape : « Ce qui ressemble le plus à la grâce est l’humour. » Or vous vous moquez avec beaucoup d’ironie de vous-même, de vos préjugés. N’y a-t-il pas là un désir de foi de votre part ?

J. C. Je ne conçois pas le roman sans humour ou du moins sans ironie. L’humour est la chose la plus sérieuse au monde et je partage absolument l’avis du pape qui revendiquait le sens de l’humour de façon radicale. Désir de foi ? Parfois, avant et pendant l’écriture de ce livre, j’ai envié les vrais croyants, leur force, leur sérénité. Mais la foi relève pour moi de l’intuition poétique et pour le pape elle est un don. Et ni l’intuition poétique ni le don ne sont le fruit de notre volonté.

 

 

Mélange de chronique, d’essai, de biographie, d’autobiographie, de récit de voyage, de roman policier et de retranscriptions d’échanges avec différents acteurs du Vatican (dignes des plus incroyables personnages de fiction), ce texte, qui ne passe pas sous silence les dérives d’une institution malade et les ambiguïtés de son chef religieux, nous immerge dans les coulisses de la monarchie théocratique trouvant grâce aux yeux de plus d'un milliard de personnes dans le monde. Avec beaucoup d’humour, l’écrivain espagnol, qui se définit comme un impie rigoureux, se moque de ses idées reçues sur cette Église dont nous sommes pétris et interroge la place du spirituel dans nos vies, ainsi que celle de la religion.

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