Beaux livres

Tahar Ben Jelloun

J’essaie de peindre la lumière du monde

illustration

Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Homme de lettres et humaniste engagé, Tahar Ben Jelloun, Goncourt 1987, traduit dans plus de quarante langues dans le monde entier, nous éclaire chaleureusement en ces premiers frimas d’hiver, par sa peinture lumineuse et la réédition d’un de ses essais phares, manifeste réconciliateur du vivre-ensemble.

On connaissait l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun romancier, essayiste et poète à ses heures. On le découvre peintre jusqu’au 7 janvier 2018 à travers d’éclatantes toiles exposées à l’Institut du monde arabe qui lui a donné carte blanche. Afin de découvrir ou de prolonger cette balade solaire dans une farandole de couleurs, lumières et mouvements, le catalogue de l’exposition éponyme, J’essaie de peindre la lumière du monde, vient de paraître aux éditions Gallimard. Ce superbe ouvrage, agrémenté d’un entretien passionnant de l’auteur avec Éric Delpont, conservateur à l’IMA, instaure un dialogue entre écriture et peinture, les œuvres picturales de l’auteur faisant écho à ses écrits avec la présentation de plusieurs de ses manuscrits. S’il confie avoir toujours griffonné et dessiné dès sa plus tendre enfance, portraiturant les membres de sa famille, ce n’est qu’en 2010 qu’il prend les pinceaux. Autodidacte absolu, c’est en regardant et digérant le travail des peintres qu’il affectionne – comme Matisse, Giacometti, Gharbaoui ou Belkahia – qu’il s’est forgé un univers singulier : « Je ne me considère pas comme un peintre. Je suis un écrivain qui essaie de se racheter en faisant danser des couleurs prises dans le ciel et la mer de Tanger. Je mens. Je donne du monde une lumière subjective que j’attends tous les matins. Car le monde est brutal et c’est ce que disent mes livres, mes romans et mes poèmes. » Un imaginaire faussement naïf, débordant de joie de vivre, de rencontres et d’espoir pour un monde meilleur. Presque utopique. Ses peintures constituent un voyage apaisant, ouvert sur l’ailleurs et l’altérité. Un dialogue constitutif de son œuvre que l’on retrouve dans L’Islam expliqué en images écrit à destination des enfants et des parents. Ce passeur de culture qu’est Tahar Ben Jelloun entreprend dans ce livre, à l’iconographie très riche, de raconter le plus factuellement possible l’histoire de l’islam, troisième religion monothéiste, et de ses pratiques, sans lesquelles notre histoire culturelle ne peut être appréhendée dans sa globalité. Déjouant les amalgames, l’auteur invite d’emblée son lecteur à ne pas confondre l’islam pacifique avec l’islamisme violent et entreprend une pédagogie de clarification, sous forme de questions-réponses, car l’islam est loin d’être un bloc monolithique. Des interrogations simples autour de la prière ou du voile sont ainsi abordées, de même que des sujets comme l’Âge d’or arabe, qui en mêlant religion, philosophie et sciences, a considérablement apporté à l’Occident. Pour mieux affronter les divisions, des problématiques actuelles surgissent aussi comme la coexistence de l’islam, de la laïcité et de la démocratie ou le statut de la femme. Une lecture profitable qui crée des ponts. Enfin, pour les curieux, signalons la parution en poche (Folio) de Mariage de plaisir qui poursuit l’exploration du Maroc à travers la question du racisme à l’encontre des Africains noirs. Le combat entre la lumière et l’ombre, toujours.

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