Littérature française

Annie Saumont

Un si beau parterre de pétunias

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photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

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Belle floraison de nouvelles avant l’été ! Pour découvrir ce genre trop souvent négligé, j’ai choisi quatre auteurs qui font rimer court et lourd. Et d’abord, savourez l’ironie de Stuart Nadler, qui plonge un bon père de famille juive dans les affres d’une relation extra-conjugale avec la fille de son meilleur ami.

Brève, intense, la nouvelle procure un plaisir de lecture immédiat. Son écriture ne laisse pas place au hasard. « Dans la composition tout entière il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne tende, directement ou indirectement, à parfaire le dessein prémédité. », écrivait Baudelaire. Les nouvellistes sont des écrivains comme les autres. À ne pas négliger ! Car parfois sous-estimée, une bonne nouvelle constitue pourtant un véritable tour de force stylistique en quelques mots aptes à s’imprégner dans la mémoire avec force et pour longtemps. Une nouvelle, c’est de l’imagination, de la psychologie, de l’absurde, du merveilleux… bref, le sens de la vie… Ou la vie mode d’emploi. En sept histoires, Stuart Nadler écrit avec humour et tendresse une véritable comédie humaine sur les relations familiales, filiales, amoureuses. Il s’interroge sur la foi et la pratique religieuse constamment tiraillées par les élans de la faiblesse humaine et de la tentation. La mort, le deuil, l’amour… semblent le lot quotidien de ses personnages. Il n’hésite pas à les plonger dans des imbroglios sentimentaux et métaphysiques, dans lesquels il les observe se débattre d’un œil d’entomologiste. Une jeune femme pousse dans les bras de son compagnon, jeune peintre au-delà de tout soupçon, une séductrice pour tester sa fidélité ; un père essaie de nouer une relation filiale en emmenant son fils déguster des homards. Pas très orthodoxe pour un juif… mais l’occasion d’une réflexion sur la paternité et la filiation ! « La Poupée », « Sangsue », « Frustrations »… les titres du recueil de nouvelles de Daphné du Maurier témoignent d’un univers troublant et d’une maîtrise de l’écriture et de ses effets. Son œuvre romanesque est en germe dans ces pépites sulfureuses. L’histoire de « La Poupée » est elle-même un véritable roman. Jugé scandaleux, le texte avait été refusé par les éditeurs. Pensez donc ! Une femme, Rebecca, qui trouve son plaisir avec une poupée au détriment d’un amour humain et qui demande : « Est-il possible d’aimer quelqu’un tellement que cela vous donne…un incommensurable plaisir de le faire souffrir ? » So shocking ! Psychologie de la relation, mise en scène presque fantastique, dédale de l’esprit humain pris dans la folie de la jalousie et de l’aberration, le narrateur a entrevu l’innommable : « Oh Dieu ! Que vais-je faire ? Je ne peux pas vivre… je n’y arrive pas ». Il aura fallu attendre 2010 pour qu’une libraire (eh oui !) mette la main dessus, soixante-dix ans après sa rédaction. Samanta Schweblin est une grande raconteuse de petites histoires ! Ses petits contes cruels fascinent, entre réalisme et fantastique façon sud-américaine. Ils sont en même temps imprégnés de thèmes proches des auteurs américains : l’espace, la route. Ajoutez une pointe d’absurde kafkaïen avec « Le Creuseur » et « Vers l’absurde civilisation ». La jeune auteure s’annonce comme une grande du court. La nouvelle-titre du livre est exemplaire. Après le divorce de ses parents, une petite fille se met à manger uniquement des oiseaux vivants. Que fera son père devant un comportement aussi abject que contre-nature ? La vie ou la mort ? Une très belle métaphore sur la cellule familiale qui dévore ses membres, sur l’incommunicabilité entre des êtres qui se sont aimés ou qui sont censés s’aimer. Qu’est-ce que l’homme ? Comme les nouvelles ne sont pas toujours les gourmandises préférées des lecteurs français, je termine par Annie Saumont. L’écriture d’Annie Saumont suit les mouvements de l’âme de ses personnages. Elle peut être fragmentée, elliptique, comme inaboutie. Mais pas d’effet de style gratuit pour cette fine observatrice de l’esprit humain. Elle croque les souffrances intimes, les petites complaisances, les grandes lâchetés de chacun. Alors bien sûr, le plaisir de lecture s’apparente parfois à un grincement de dents, un claquement de fouet. Une vieille femme, charmante, touchée par la mort de son petit teckel jaune, devient une froide meurtrière devant le saccage de son parterre de pétunias. Un homme jaloux prépare une tasse de café fatale à sa femme qui en aime un autre ; un enfant prisonnier des chiffres finira, adulte, perdu dans le noir ; un frère force sa sœur dans la torpeur madrilène… Jalousie, amertume, absurdité des relations humaines, les personnages d’Annie Saumont ont mal à l’être. Elle les pousse dans leurs derniers retranchements, la chute laissant toujours un sillage amer. De petits bijoux de noirceur, des condensés d’émotions.

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