Littérature étrangère

Cynthia Bond

Ruby

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photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

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Ruby brille d’un éclat précieux et rouge sang. Le sang de l’enfance bafouée, le sang d’un Christ aux mains d’un prédicateur dévoyé. Comme des inclusions dans la pierre la plus pure, le mal, le racisme vont creuser le sillon de la folie. Au cœur des ténèbres du Sud profond, l’amour sera-t-il possible ?

Envoûtement garanti ! Non par la mainmise d’un esprit malveillant du panthéon vaudou sur un esprit enclin à une sensiblerie mièvre, mais plutôt par la fulgurance et la poésie lumineuse de l’écriture de Cynthia Bond. Ruby, son premier roman, est un bijou de noirceur et de délicatesse. Un véritable tour de force. Elle nous raconte une histoire d’esclaves, de meurtres, de viols d’enfants dans une bourgade du Texas. Plein de vie et de morts, ancré dans la description réaliste de la bourgade et de ses habitants, Ruby est une chronique du Sud profond, des années 1930 aux années 1950. Mais au-delà de la peinture de mœurs, de la chronique sociale, Ruby est une plongée dans les racines d’un mal qui ronge les cœurs et les âmes. Quand Dieu réunit ses ouailles autour de son prédicateur, le diable étreint les êtres dans la noirceur de la nuit… Comment la plus jolie petite fille noire de Liberty, au Texas, est-elle devenue une folle errante et dépravée ? Quel mystère plane sur la petite ville ? Ephram Jennings n’a jamais oublié la fillette aux longues tresses avec laquelle il jouait dans les forêts de pins. Quand elle revient de New York après des années d’absence, Ruby est encore la plus belle fille de la bourgade. Elle a fui Liberty, pensant retrouver un jour sa mère qui l’a abandonnée. Elle a tracé son chemin dans les pianos-bars et la prostitution. Elle a côtoyé les artistes, les écrivains (ah le clin d’œil à James Baldwin !) dans les effluves d’un parfum de Chanel. Un jour, son passé la rattrape. Sa cousine est morte. Elle doit rentrer. Mais quand elle retrouve la maison de son enfance, Ruby se laisse envahir par la torpeur de Liberty, les souvenirs sombres, les cauchemars qui hantent son esprit fragilisé. La violence était là, tapie quelque part dans son cerveau. Une violence presque ancestrale, tissée de racisme, de viols, de meurtres. Une violence qui l’a happée dès son plus jeune âge. Qu’est-il arrivé à Ruby Bell ? Pourquoi le retour sur sa terre natale l’entraîne-t-il dans la spirale de la folie ? Ruby Bell erre dans les rues et dans la forêt, se laissant « prendre » par tous les hommes qui passent et qui ne restent jamais. Chez elle, dans la terre, dans un fossé. La déchéance semble complète. Ruby Bell pue. Ruby Bell urine sous elle. Mais son esprit dérangé tutoie les esprits, materne ceux des enfants morts. Le surnaturel affleure dans tous les éléments du paysage. Ruby est-elle folle ou hantée par les fantômes de son passé social, familial, racial ? Petit à petit, Cynthia Bond révèle des mystères qui n’ont rien de divins ou de surnaturels. Ruby a été enlevée et prostituée dès l’âge de 6 ans par l’entremise du père d’Ephram, prédicateur débauché et dévoyé. Ephram Jennings, en revanche, croit en elle, prend soin d’elle. Envers et contre tous. Il délaisse la vie confortable avec sa sœur qui l’a élevé. Il tourne le dos à la communauté, à la religion. Ruby est une histoire d’amour et de rédemption. Au cœur des ténèbres, du bruit et de la fureur, la lumière jaillit. Une grande romancière est née !

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