Littérature étrangère

Betty Smith

Le Lys de Brooklyn

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photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

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Publié en 1943, Le Lys de Brooklyn est un classique de la littérature américaine. La collection « Vintage » des éditions Belfond s’enrichit de cette fleur épanouie dans les faubourgs de New York. Suivez le destin exemplaire de Francie, jeune fille pauvre amoureuse des mots et des livres.

« J’suis d’Brooklyn », répète Mickey Rourke dans Angel heart quand il est aux prises avec les forces du mal ou les rednecks du sud. Autant dire que ce quartier a une identité très forte dans la géographie et l’histoire de New York. Le Lys de Brooklyn est un témoignage sur la vie du petit peuple de Williamsburg au début du xxe siècle. On est en 1912, le quartier est pauvre et il semble bien difficile d’échapper à son destin et à la misère. Le tour de force de Betty Smith est de faire vivre ce quartier à travers le regard de Francie Nolan, d’abord enfant, puis jeune fille et enfin femme. Celle-ci trouvera dans un terreau infertile la force et l’imagination pour grandir et se construire. Johnny, son père, est chanteur. Il aime sa femme et ses enfants. C’est lui qui inscrit Francie dans l’école de son choix. Mais l’alcoolisme est là, tapi dans tous les recoins de son corps et de son esprit. Il sombre avec lucidité et fatalité. Katie, la mère, travaille sans relâche, tirant de chaque sou les moyens d’égayer un ordinaire où la faim taraude les estomacs. Elle lit la Bible et Shakespeare chaque soir à ses enfants. Alcoolisme du père, pauvreté de la famille, Francie Nolan porte un regard sans concessions mais plein d’amour sur le monde et les injustices sociales. Francie rêve de « monter au ciel comme l’arbre qui pousse dans la cour ». Francie s’évade. Francie réfléchit. Elle lit, elle écrit. Tenace, sensible, elle veut exister à chaque moment : « Mon Dieu, faites que je sois quelque chose, à chaque instant de chacune des heures de ma vie… et quand je dors faites que je ne cesse de rêver, afin que le moindre morceau de mon existence ne soit perdu ! » Fleur sauvage poussée sur le pavé de Williamsburg, Francie Nolan égrène avec pudeur et justesse souvenirs d’enfance et réflexions sur les différences, la pauvreté, la mort, les religions, les premiers émois amoureux, la haine des pauvres, des étrangers… Une histoire new-yorkaise à l’accent de Brooklyn racontée sans misérabilisme mais avec une acuité de regard et une capacité d’analyse qui trouvent leur expression dans un texte facile à lire. Bien sûr, Francie va s’en sortir. Mais Betty Smith ne nous raconte pas un conte de fées, une histoire à l’eau de rose avec au bout la réussite sociale d’une héroïne, d’une « self made woman ». L’auteure dresse la chronique d’une époque révolue. Roman d’apprentissage, Le Lys de Brooklyn est un grand texte populaire, fin et sensible. Il s’est vendu à plus de six millions d’exemplaires aux États-Unis. Elia Kazan en a tiré un film. Il a été adapté au théâtre. Il est toujours étudié dans les écoles et universités américaines. Née en 1896, de parents allemands, Betty Smith a passé son enfance dans le quartier de Williamsburg. Elle est sans doute allée chercher Francie au plus profond d’elle-même, faisant resurgir souvenirs, images fortes et états d’âme. Un véritable tour de force introspectif et autobiographique, à découvrir d’urgence et à lire d’une traite !

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