Littérature française

Laurent Mauvignier

Autour du monde

illustration
photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

()

Des instantanés d’histoires personnelles partout dans le monde. Un facteur commun : la catastrophe de Fukushima. Autour du monde est le roman chorale de l’intime, des individus pris dans la mondialisation des images et de l’information. Et si, finalement, chacun était irrémédiablement seul ?

Dans une construction vertigineuse par sa simplicité et la fluidité de l’écriture, Autour du monde est un roman à la fois métaphysique et politique. Que signifie notre être au monde en ce début de xxie siècle, quand la terre entière s’invite sur nos écrans 24 heures sur 24 ? Quelles interactions entre la sphère de l’intime et les événements majeurs qui viennent bousculer l’actualité et les enjeux politiques, écologiques, à l’échelle de la planète ? Pour creuser ce questionnement, plus que pour y répondre, Laurent Mauvignier s’empare du tsunami de 2011 et de son corollaire immédiat, la catastrophe de Fukushima. Un phénomène naturel entraîne une catastrophe nucléaire aux conséquences écologiques et humaines dramatiques. Le monde entier voit défiler les images et les commentaires. Dès lors, un peu à la façon du jeu où les dominos s’écroulent successivement quand l’un vient frotter l’autre, Laurent Mauvignier nous emmène dans le grand jeu de la vie, le grand cirque du monde. Quelle est la surface de frottement entre l’individu et autrui ? Entre chacun et ce qui arrive partout sur la planète ? Ce roman au long cours est composé de scénettes qui donnent à voir une multitude de situations individuelles dans un monde où chacun peut avoir accès à toute l’information planétaire quasiment en temps réel. Une pléiade de personnages, d’histoires, de situations défilent devant nos yeux, comme pour dire la différence et la diversité. Dans l’histoire en marche, les histoires se superposent, se télescopent. Impossible, donc, de résumer Autour du monde. Rencontrer une fille tatouée au Japon ; sauver la vie d’un homme sur un paquebot en mer du Nord ; nager avec les dauphins aux Bahamas ; faire l’amour à Moscou ; travailler à Dubaï ; chasser les lions en Tanzanie ; s’offrir une escapade amoureuse à Rome ; croiser des pirates dans le Golfe d’Aden ; tenter sa chance au casino en Slovénie ; se perdre dans la jungle de Thaïlande ; faire du stop jusqu’en Floride… les vies ordinaires sont multiples et se déploient dans une écriture chorale. L’onde de choc se propage dans le monde et impacte les personnages. Le paradoxe entre l’individu et un tout qui l’enserre de plus en plus et de plus en plus vite explose en une myriade de scènes. En romancier omniscient, Laurent Mauvignier éclaire tous ces fragments de vie. Il déploie chacun d’eux dans son passé, son futur, son intériorité, ses amours, sa connexion au monde et aux autres. Chacun se réverbère dans le tout. Sans qu’il y ait forcément lien entre toutes ces histoires. Comme si le roman s’attachait à fixer l’infiniment petit, le monde à hauteur d’humain. L’homme est face à lui-même, dans la solitude de son corps et de ses pensées. Un anonyme parmi d’autres. La solitude existentielle comme une force, peut-être, face à un monde hyper-connecté. L’écriture se déploie, se répercute de personnage en personnage, à la fois fragmentaire, kaléidoscopique et virtuose. Très fort !

Les autres chroniques du libraire