Beaux livres

Antoine de Baecque

Les Nuits parisiennes

BP

✒ Béatrice Putégnat

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Des illuminations royales de Louis XV jusqu’au Palace, la nuit parisienne a toujours exercé une fascination sur les artistes, devenant même un genre littéraire qui se décline en mémoires, récits, poèmes, reportages… Antoine de Baecque, noctambule de l’Histoire, réinvente avec érudition cette géographie nocturne.

« Ils ont le pouvoir, on a la nuit ! » Un tag comme tant d’autres dans la rue parisienne. Mais un graffiti façon Mai 68 qui en dit long sur la magie, le pouvoir et la signification historique et sociale des nuits parisiennes. Dis-moi comment tu vis la nuit, je te dirai qui tu es. En historien scrupuleux, Antoine de Baecque dissèque trois siècles de Paris by night en s’appuyant sur une « généalogie littéraire et visuelle de la nuit, par orgies de lectures et de visionnements ». Car la nuit est devenue un genre littéraire décliné en mémoires, chroniques, reportages, poèmes, chansons… et iconographies (peintures, photos, affiches…). Elle devient le révélateur du jour, des mouvements de la société française. Ainsi, à la fin du xviiie siècle, la nuit se privatise. L’élite veut s’amuser, faire la fête. Elle investit le Palais Royal, le Pigalle de l’époque. Tripots, bals, prostitution constituent le décor de ce monde à part. En trois siècles, la nuit et son espace évoluent. On peut, selon les époques, jouer aux cartes dans des hôtels particuliers avec les lettrés et les aristocrates, s’y afficher en dandy à l’Opéra ou dans les fêtes impériales, se griser parmi la foule des boulevards, s’encanailler dans les caf’conc’ ou dans les cabarets de Montmartre, boire avec les peintres et les écrivains à Montmartre ou dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, danser le rock ou le yéyé au Bus Palladium, découvrir le punk au Chalet du lac et la new wave au Palace… Les lieux, les codes changent, mais la nuit reste investie d’une magie quasi existentielle, définie par Simone de Beauvoir comme la « fiesta » : « Pour moi la fête est avant tout une ardente apothéose du présent en face de l’inquiétude de l’avenir… mais si au sein du malheur, l’espoir renaît, si l’on retrouve une prise sur le monde et sur le temps, alors l’instant se met à flamber, on peut s’y enfermer et se consumer en lui… Il y a toujours un goût mortel au fond des ivresses vivantes ». Une définition qui trouve un écho très sombre après les attentats du mois de novembre qui ont touché une salle de spectacle. Des morts dans la nuit parisienne. Face noire et sombres héros. Comme Pascale Ogier, la petite fiancée du Palace disparue d’une overdose en 1984. Comme le suicide d’Alain Pacadis en 1986. La nuit parisienne, entre spleen et crise ? Les lieux, les événements, deviennent des institutions. Paris va crever d’ennui ? Pas sûr. Les noctambules n’ont pas dit leur dernier mot ! Chaussez vos lunettes noires et sortez dans Les Nuits parisiennes.

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