Bande dessinée

Thilde Barboni , Olivier Cinna

Hibakusha

illustration
photo libraire

Chronique de

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Adaptée d’une nouvelle de Thilde Barboni, la bande dessinée Hibakusha évoque l’histoire d’amour d’un traducteur allemand et d’une jeune Japonaise au cœur de la Seconde Guerre mondiale. Mise en dessin et en couleur par Olivier Cinna, elle explore un événement tragique de l’histoire du XXe siècle.

1945, Berlin. Ludwig Mueller, fils de l’ancien consul d’Allemagne au Japon a grandi au pays du Soleil Levant. Aujourd’hui, c’est un jeune traducteur-interprète du japonais œuvrant pour le parti hitlérien. Lorsqu’il est appelé pour la deuxième fois à rejoindre le Japon afin de travailler sur la traduction de documents hautement confidentiels, il laisse derrière lui femme et enfant. Partagé entre la peur de ce qui se passe chez lui, à l’autre bout du monde, et la sensation d’écrasement qui l’assaille ici sous les bombes américaines, Ludwig fait une rencontre bouleversante. Dans l’abri atomique où il s’est réfugié lors d’une alerte, il frôle celle qui deviendra certainement sa plus belle histoire d’amour. Mais soudainement, tout bascule, de l’autre côté du globe : l’Allemagne capitule, Hitler se suicide et Ludwig devient alors un traître. Et si lui l’ignore encore, nous, lecteurs, savons que le 6 août approche inéluctablement. Le terme est peu connu en Occident. Pourtant, en 2015, les « Hibakusha », survivants des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, sont encore plus de 180 000 à vivre au Japon. Projetés par la déflagration, brûlés sur tout le corps et le visage, écorchés vifs, ils ont subi l’une des pires choses que l’humanité était capable de produire ces 6 et 9 août 1945. Rejetés pendant de nombreuses années par leur propre pays craignant la contagion et l’hérédité des symptômes, cachés aux yeux du monde par les Américains souhaitant taire les effets de la bombe A et, comme si cela ne suffisait pas, victimes d’expériences, ces hommes et ces femmes ont vécu la honte et l’humiliation pendant de nombreuses années. Dans sa nouvelle intitulée « Hiroshima, fin de transmission » et adaptée chez « Aire Libre » avec la collaboration d’Olivier Cinna au dessin, Thilde Barboni invente une nouvelle forme d’Hibakusha, une autre manière de survivre, par le souvenir. On y retrouve toute la douceur, la sobriété, la discrétion et la poésie que représente la culture japonaise en Occident. Le coup de crayon de Cinna, quant à lui, n’est pas sans rappeler le pinceau des estampes japonaises. Hibakusha est une magnifique bande dessinée à mi-chemin entre Orient et Occident tant par son contenu que sa coquille. Le petit cahier graphique placé en fin d’ouvrage permettra à celles et ceux qui veulent aller plus loin de découvrir, à travers quelques croquis et un petit texte, le travail du dessinateur et les inspirations de l’auteure. Aujourd’hui, les Hibakusha perçoivent une allocation et on ose enfin parler de cet événement dramatique de l’histoire du monde. En 2002, la ville d’Hiroshima a lancé un nouveau programme visant à recueillir les récits de victimes. Ainsi, plus d’une centaine d’hommes et de femmes sont devenus des « successeurs » chargés d’être la mémoire des survivants vieillissants afin que l’impensable ne se reproduise plus. Thilde Barboni et Olivier Cinna en font partie, et certainement d’une des plus belles des manières.

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