Littérature française

Martin Lichtenberg

La Roche

illustration

Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

La Roche est un premier roman au ton singulier d’un jeune auteur, Martin Lichtenberg, mais aussi une première incursion en imaginaire pour l’éditrice Héloïse d’Ormesson. Deux premières pour ce roman. Deux premières réussies.

La Roche est une île, un restant de terre isolée pour une poignée de survivants. Ils vivent là, en castes. Les Rocailleux et les Rocheux ne se mêlent pas, chacun ayant leur propre fonction. Ils rêvent d’un avenir meilleur, celui que le mystérieux pouvoir fait miroiter, qu’ils ne connaissent que par le visionnage de vidéos énigmatiques. En attendant, ils triment dur, s’abrutissant de labeur pour s’endormir et recommencer. Et surtout se faire remarquer par La Garde, milice du pouvoir, et devenir les heureux élus, ceux qui pourront, au terme d’une cérémonie grandiloquente, embarquer sur un bateau et rejoindre ainsi les rives d’un paradis promis. C’est une vie de récup’, de misère(s), de démerdes. La beauté a fui, le gris prédomine avec ses nuances, la résignation coule dans le sang. Seul Dael tente de modifier son banal et triste quotidien, pour son bien et celui de sa fille Loo. Prendre des risques, guetter les faiblesses et essayer de distiller ici et là quelques braises de révolte. Lors d’une soirée à scruter les alentours, il fera la connaissance d’un électron libre, d’un être habité par la musique dans un monde où toute forme d’art a été abolie. Quand Sol se met au piano, c’est un bouleversement pour Dael qui replonge avec nostalgie dans un passé pas si lointain où la liberté de vivre était encore de mise. Ce trio, refusant la soumission, malgré les risques importants, essaiera de modifier l’ordre établi. L’écriture de ce jeune romancier est troublante, mystérieuse, changeante. Elle explore avec finesse les renoncements, magnifie les instants de grâce (les notes de musique illuminent un ciel gris, comme des flocons de neige sur un sol charbon). Elle emporte le lecteur avec poésie dans ce monde inventé, invite à la réflexion en incitant le lecteur à tisser des liens entre imaginaire et réalité. Un très beau premier roman.

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