Littérature étrangère

Kate Summerscale

La Déchéance de Mrs Robinson

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Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

Implacable enquête sur l’ère victorienne, magnifique roman noir sur le plus noir de l’humain, cette déchéance de Mrs Robinson, amante exaltée dans une société corsetée, est à lire comme un témoignage sensible, documenté et inspiré d’une époque révolue. Révolue, heureusement...

être une femme de la haute société édimbourgeoise en 1844 oblige à observer quelques prudences, à une soumission réelle à son mari. Isabella Robinson, née Walker, le découvrira à ses dépens. L’ennui de sa vie, cet ennui nourri de conventions, d’absence de frissons, la conduira à une déchéance purement hallucinante. Devant un tribunal elle sera livrée en pâture à tous ceux qui se pourlèchent, déjà (nous n’avons rien inventé), de drames passionnels, de voyeurisme, de rappels des bonnes manières que ces accusateurs auront plaisir à oublier dès la porte du tribunal franchie. Isabella, mariée à Henry Robinson, découvrira en Edward Lane, cet amant si souhaité, si ardemment convoité, cet homme « fascinant », cet homme de dix ans son cadet. Naîtra alors entre ces deux âmes libres et curieuses une relation amicale visant à rompre la monotonie quotidienne. Rien de plus pour Isabella qui couchera ses sentiments dans son journal intime. Elle écrira, exaltée, ceux qu’elle nourrit pour Edward, imaginant alors de belles étreintes, elle écrira également sa haine grandissante envers son cupide mari. Lorsque enfin, un jour, seulement un jour, ils partageront de longs baisers et de chastes étreintes, elle pensera que leur relation prend son envol. Pourtant l’indifférence d’Edward la déçoit. Alors, malade, victime de fièvre, en proie au délire, elle livrera à son mari de folles divagations qui le conduiront à s’accaparer du journal intime. Il découvrira alors, furieux, mais peut-être aussi blessé dans son orgueil, les relations de sa femme et d’Edward. Attendant dès lors sa guérison, il la mènera en procès afin de divorcer et de la voir, sur la place publique, déshonorée. Démarre alors la seconde partie de ce roman, celle du procès, seulement le onzième procès devant la Cour des Divorces, tribunal laïc créé quelques mois plus tôt. Seule pièce à conviction ce journal autour duquel virevolteront dans une folle mascarade avocats, journalistes, magistrats mais aussi experts. Ces superbes experts de cette science noble qu’est la médecine appelée à la rescousse d’un manque de preuves flagrant. Leurs fanfaronnades sur le thème du sexe et de la folie, géniales de ridicule, démontrent toute l’incongruité de ce procès si méprisable dans cette société si permissive envers les hommes. Et pourtant, Isabella gagnera contre son mari. Elle sera la première femme à remporter ce procès. Elle perdra toutefois ses enfants et sa fortune, elle perdra son honneur et son intimité, qualifiant de viol la lecture de son intime journal. Kate Summerscale, après le remarquable L’Affaire de Road Hill House, dépeint de nouveau avec maîtrise cette société aisée de l’ère victorienne. Il suffit de consulter la liste bibliographique et les notices explicatives pour comprendre que ce livre est plus qu’un simple roman. Il est le témoin pertinent de cette époque si puritaine, si rétrograde, cette époque pas si lointaine où les femmes ne jouissaient que de peu de liberté, privées parfois de celle, vitale, de rêver.

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