Littérature française

Philippe Ségur

Le Rêve de l’homme lucide

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Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

Je suis « un anxiolytique social fabriqué par la société pour ne pas la décevoir » . Philippe Ségur dit tout de ce monde où « l’être humain est un produit comme un autre » , et c’est brillamment drôle, drôlement brillant !

Simon Perse est écrivain, insomniaque, séparé de sa femme et de ses enfants, reclus dans son appartement. Pour faire cesser ses insomnies il décide de ne plus dormir ! Il se drogue aux substances licites délivrées sur ordonnance par les dealers officiels du pouvoir : les pharmaciens. Il suit également des séances de psychanalyse chez un certain docteur Zennegger, séances hilarantes d’où il ressort anéanti ou surexcité – c’est selon. Il se penche sur son passé et se découvre vide, seulement apte à être le bon père, le bon mari, propriétaire d’une belle maison. Simon Perse ne veut pas mourir, il veut profiter de la vie sans perdre son temps à sommeiller. Dès lors, ce roman sera celui de la renaissance. Simon Perse est le double de Philippe Ségur. Son propos se nourrit de sa propre existence, de son propre regard sur la société : « Je n’ai aucun humour, je me protège seulement » . Pourtant, encore une fois, l’humour est l’arme la plus tranchante pour décrire le monde. Cette critique subtile et décalée affleurait déjà dans Vacance au pays perdu , son précédent roman ; elle est un miroir tendu au lecteur. Également et comme dans toute son œuvre Philippe Perse fait preuve d’une imagination totale lors des pertes de connaissance de Simon Ségur. Il se retrouve alors par exemple en Indien de la tribu Remo, foudroyé d’amour pour une jeune femme. C’est là que réside la force de Perse/Ségur : dès les premières lignes, le lecteur est pris au piège, perdu entre fantasmagorie et réalité. Le flot de la langue, la sincérité du propos, le choix de la syntaxe, les monologues, les dialogues (avec sa fille, sa sœur)… tout se savoure pour faire de ce Rêve de l’homme lucide le roman le plus accompli de Philippe Perse/Ségur. Finalement, cet écrivain qui « s’emmerde » lors de rencontres littéraires aura réussi, vengeance suprême, à rendre ses lecteurs insomniaques, pressés qu’ils seront de terminer cette petite perle.

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