Littérature étrangère

Stefano Massini

Manhattan Project

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Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

Écrit initialement pour le théâtre, Manhattan Project confirme tout le talent et l’originalité de Stefano Massini qui poursuit ainsi son singulier cheminement des Frères Lehman au Ladies Football Club.

Lire Stefano Massini, c’est oublier un temps nos repères de lecteurs. Lire Stefano Massini, c’est se laisser happer par le flux du texte en vers libres, très libres. Cette liberté de ton et de construction est absolument jubilatoire, une fois le rythme accepté. En 1938, quand d’éminents scientifiques juifs hongrois fuient leur sol natal pour les États-Unis, ils n’imaginaient pas alors devenir les inventeurs de la plus glorieuse et de la plus horrible invention de l’homme : la bombe nucléaire. Ils débarquent sans un sou, avec pour seul bagage une valise que Massini s’amuse à décrire pièce après pièce, faisant ainsi le portrait chinois de leur possesseur, dans un inventaire digne de Prévert. Un procédé de narration ludique qui se transforme soudain en une véritable pensée philosophique sur l’exil, par exemple. Un exil choisi qui devient subi et douloureux quand la mère patrie s’éloigne réellement. Massini installe alors une complicité avec le lecteur, décrivant les tics de ses personnages, comme Szilard qui, pour gagner du temps et ainsi réfléchir, retire ses lunettes, les nettoie puis les remet et enfin parle.Nous nous retrouvons comme au théâtre, au plus proche des comédiens. En quatre parties chronologiques, Massini retrace, dans un compte à rebours ébouriffant, le travail colossal entrepris par ces génies des sciences sous la direction d’Oppenheimer. Écrire sur la bombe est dangereux. Il faut trouver le juste équilibre entre l’admiration portée à ces milliers de chercheurs embarqués dans cette colossale entreprise et l’horreur que pourrait engendrer, en réactions successives, cette invention. Ce magnifique Manhattan Project fourmille de mille idées, de pensées profondes nourries d’ironie yiddish. Un tour de force sur cette période tristement excitante.

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