Polar

Jean-François Parot

Le Prince de Cochinchine

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Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

Quatorzième tome des aventures de Nicolas le Floch, ce Prince de Cochinchine est un régal de lecture. Je m’en vais de ce pas quérir des « vas-y-dire »1 pour vous le faire certifier sans coup férir et sans que vous puissiez ensuite me « tympaniser »2 ni m’envoyer dans les basses geôles pour mensonge avéré ou corruption malhabile.

1787. Nicolas le Floch, marquis de Ranreuil, prend du repos sur ses terres bretonnes, entouré de sa famille, de ses gens. Il est fier de profiter ainsi de la naissance de son petit-fils. Fidèle au roi, il écoute aussi le grondement du peuple, de ses fermiers, avec l’inquiétude croissante face à l’inexorable basculement d’un ordre établi. Les joutes verbales dans les salons du château de Ranreuil égayent les soirées mais démontrent toute la profondeur de la noblesse au peuple, des interrogations. Après quelques péripéties savoureuses et aventurières, Nicolas le Floch est de retour à Paris, afin de démêler une affaire peu ordinaire. Son vieil ami d’études Mgr Pigneau de Behaine, évêque d’Adran, est de retour en France afin de négocier un traité entre la France et la Cochinchine dont il est l’ambassadeur du roi actuel. Venu en France avec Canh, l’héritier du trône, Pigneau de Behaine se heurte à un double conflit qui fragilise sa position et impose une protection soutenue autour de Canh. Nicolas Le Floch, auprès de son ami, découvre alors la complexité de la tâche qui l’attend sous la protection bien particulière de Sartine. La force de Jean-François Parot, conteur-historien, est de multiplier les pistes afin de semer le doute dans l’esprit du commissaire. La protection de la Cochinchine apporterait à la France une aura importante, une puissance évidente et une « base » géographique pertinente pour le commerce, entre autres. En ces temps de lutte pour imposer, pour s’imposer en toute première puissance mondiale, les Anglais mais aussi les Hollandais s’opposent à la France. Apparaissent également de redoutables guerriers issus de la Triade, cette secte orientale qui souhaite renverser le roi de Cochinchine et s’emparer ainsi du royaume d’Annam. Tout cela se déroule à Paris, en 1787, dans une ambiance électrique que Parot décrit avec passion. La pauvreté insoutenable du peuple, les corruptions à grande échelle de la noblesse, le train de vie de la Cour tourmentent Nicolas le Floch. Bien entendu, Parot, en parfait guide, nous conduit dans ce Paris populaire entre tavernes et ateliers de tailleur. On retrouve alors avec gourmandise cette « patte » Parot, ce talent pour faire prendre vie, au fil des pages, à des personnages hauts en couleur, témoins sagaces de leurs contemporains : Vachon, la Paulet, Madame Louise, Restif de la Bretonne dit le Hibou, Olympe de Gouges… mais aussi ses fidèles amis Noblecourt, son protecteur, Aimée d’Arranet, sa maîtresse, Bourdeau, Semacgus… Gourmandise encore dans ces descriptions de dîners, de plats, dont ces superbes langoustes aux cèpes et andouille. Ah, gourmandise, quand tu nous tiens ! Parot est un maître queux car il nous sert les ragoûts, les mets et les entremets de son intrigue au fil des pages mais il est aussi sommelier car il arrose tout cela d’un nectar tour à tour douceur du palais ou poison de l’esprit. La chute est superbe, comme une fin de repas : l’alchimie rêvée du pâtissier.

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