Littérature française

Kaouther Adimi

Nos richesses

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Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Nos richesses est ce roman d’une vie, celle d’un homme étonnant, qui crée sa librairie à Alger en 1936. Homme libre, homme passionné, toute sa vie sera celle d’un engagement pour la littérature et les écrivains. Alors, quelle évidence que le prix du Style pour Kaouther Adimi, qui l’a fait revivre en mots.

PAGE — Quel sentiment vous a animée quand vous avez appris que vous aviez obtenu le prix du Style 2017 ?
Kaouther Adimi — De la joie, beaucoup de joie. Et puis j’ai eu immédiatement une pensée pour Charlot. Ce dernier a été un compagnon d’écriture, de voyage et de création pendant ces deux dernières années. Ce prix, je le partage forcément un peu avec lui. Et puis, le prix du style a été remis par le passé à des écrivains que j’aime beaucoup (Négar Djavadi, Stéphane Audeguy, Sorj Chalandon…) alors je me réjouis que mon nom rejoigne cette jolie liste de lauréats.

P. — Quelle importance attachez-vous dans votre processus d’écriture à la musique de la phrase ?
K. A. — Une grande importance bien sûr ! Chaque phrase, chaque paragraphe et chaque chapitre sont pensés comme des notes. Je relis à haute voix ce que j’ai écrit la veille, il y a des mots qui sont interdits dans mes textes car justement leur « son » ne s’inscrit pas dans la « musique » du livre.

P. — Il y a plusieurs romans en un dans Nos richesses. Avez-vous fait attention à ce que le livre sonne juste suivant les époques qu’il racontait ?
K. A. — C’est en effet un roman avec plusieurs parties qui se font écho, se croisent et ont pour toile de fond la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Algérie. Le carnet imaginaire d’Edmond Charlot va de 1935 à 1961 auquel fait donc écho une partie contemporaine. Cependant, je n’ai pas essayé de « mimer » le style du XXe siècle, j’aurais trouvé cela quelque peu artificiel. En revanche, j’ai passé beaucoup de temps à lire la correspondance d’Edmond Charlot, à écouter ses interviews radio/télé/cinéma afin que je puisse retrouver un certain ton qui viendrait accompagner mon propre ton. Quand je vous disais que Charlot avait été un compagnon de route, il l’a été aussi dans le style. Vous avez été sélectionnée par des libraires pour participer à ce prix du Style, ceux de Page des Libraires.

P. — Pouvez-vous dire à nos lecteurs l’importance que tient la librairie dans votre cœur ?
K. A. — C’est sans doute, je crois, le lieu où tout a commencé pour moi. Je m’y suis construite en tant que lectrice et ensuite en tant qu’écrivaine. Ce roman se veut un hommage à Charlot mais aussi à tous ceux qui ont choisi la littérature comme boussole. Les libraires en premier lieu.

P. — Pensez-vous qu’Edmond Charlot s’intéressait plus à la forme qu’au fond chez les auteurs qu’il publiait ou c’était un tout qui lui donnait l’envie d’éditer ?
K. A. — Edmond Charlot était un touche-à-tout, un homme curieux, novateur, visionnaire. Il a repensé le style des livres (couverture, illustration, couleur de papier…). Et puis, vous savez, pour lui, on ne pouvait pas être éditeur si on n’était pas libraire. On ne pouvait pas faire du livre sans s’intéresser aux auteurs. On ne pouvait pas s’intéresser aux auteurs sans s’intéresser à leur style, aux histoires qu’ils portent en eux. Je crois que le style était très important et qu’il n’a jamais dissocié le fond et la forme.

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