Littérature française

Éric Faye

La Télégraphiste de Chopin

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Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Éric Faye est un magicien qui invente des vies et nous demande d’y croire, ou pas. Mais tout ce qu’il nous raconte nous emporte. C’est en Tchéquie qu’il nous entraîne. Quand les mondes s’effondrent, plus rien n’est certain et tout est sujet à croire.

Imaginons une femme, sans aucune culture musicale, qui retranscrit des partitions de Chopin inconnues. Imaginons un ex-espion qui cherche un semblant de vérité, imaginons des ex-journalistes qui pensent être encore espionnés. Rappelons-nous ce monde après l’effondrement du bloc de l’Est. Ici, chacun cherche qui dit vrai ou qui pense faux, chacun a de bonnes raisons de ne pas croire l’autre. Qui peut croire que Chopin, de son paradis, vient donner la leçon de musique à une ancienne employée de cantine scolaire ? Chacun court après l’autre, il est question de mensonges, de postures, de gens qui savent, de gens qui mentent. Il est aussi question d’illusions, de ceux qui sont prêts à croire, de ceux qui sont prêts à faire que ne sorte rien qui ne puisse être cru. Là où Éric Faye est brillant, c’est qu’il nous remet tout cela dans un contexte de fin de règne, celui de la fin de la domination soviétique, quand des journalistes se sentent libres, quand des espions se sentent perdus, quand tout finalement devient possible et même qu’une femme inculte reproduise des partitions inconnues de Frédéric Chopin. Ce qui est magique dans ce roman, ce n’est pas que la musique de Chopin, c’est celle de l’auteur qui nous joue une autre partition jusqu’à l’orchestration finale. On se laisse enivrer bien plus que par les mots, par cette ultime pirouette où il va nous faire croire que l’odeur du lilas pourrait être celle d’un compositeur qui passe simplement dans la rue. Lire Éric Faye, c’est se laisser perdre, tenter de se raccrocher, puis se perdre encore, jusqu’à la dernière phrase où la magie encore ne nous laisse qu’un point d’interrogation, mais un très beau point d’interrogation !

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