Littérature étrangère

Charlotte Roche

Petites Morts

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Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Vouloir réduire le roman de Charlotte Roche aux prouesses sexuelles de son héroïne serait bien trop simple. Car si c’est de cet abandon qu’elle nourrit sa capacité à vivre, il y a chez Elizabeth Kiehl, l’héroïne, la volonté de réussir sa vie.

Elizabeth et Georg forment un couple recomposé tout ce qu’il y a de plus banal : deux enfants d’une première union et des relations complexes avec leur ex… sauf qu’il y a chez Elizabeth une étrange propension à recourir au sexe pour se rassurer. Tout ce qui la rattache à sa propre vie la ramène à la veille de son premier mariage, quand sa mère et ses trois frères furent victimes d’un accident de la circulation qui entraîna la disparition de la fratrie. Obnubilée par le drame, elle tente de remettre en ordre les pièces d’un puzzle épars, brisé en mille morceaux comme les existences brisées des membres de sa famille. Elizabeth se livre à une introspection redoutable, fouillant jusqu’à la plus intime part de son être pour comprendre, analyser et reprendre le cours de sa vie, malgré la douleur et la perte. Bien évidemment, au travers de son personnage, son double de littérature, Charlotte Roche se délivre de ses propres angoisses et nous raconte ses peurs, ses doutes. Comment peut-on être une femme épanouie en ce début de xxie siècle sans céder aux diktats des médias, sans se conformer à l’image que l’on renvoie, au trouble que l’on peut faire naître chez l’autre, son mari, ses amis ? Si on peut évoquer l’autofiction française, de Christine Angot en passant par Virginie Despentes, la manière de Charlotte Roche rompt avec une tradition allemande qui veut qu’on ne parle pas de ces choses en public. C’est ce qui lui a valu une certaine polémique dans son pays. Alors, témoignage glauque ou roman en quête de sensationnel, il est évident que c’est typiquement le genre d’ouvrage qui risque de susciter le débat. Mais quand vous le refermez après l’avoir terminé, il en reste une atmosphère étrange, un peu évanescente, sur la puissance de la vie contre la mort.

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