Littérature étrangère

Tomas Gonzales

La Lumière difficile

illustration

Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Quoi de pire quand on est peintre que de perdre la vue ? David se souvient, remet en place le puzzle épars de sa famille. Si la vie fuit entre ses doigts comme le sable, lui se souvient. C’est en mots qu’il compose son dernier tableau, à petites touches impressionnistes.

Dans ce village de Colombie, David écrit. Tant que sa dégénérescence maculaire lui laisse voir le papier, il écrit l’histoire de Jacobo, son fils, celle de Sara, sa femme, de ses deux autres fils Arturo et Pablo, celle aussi d’Angela. Il écrit sa vie. Depuis qu’il ne peut plus peindre, celui qui n’avait de cesse de capter la lumière pour la poser sur la toile tente de recomposer cette existence où il a perdu ceux qu’il chérissait. Désormais, c’est au travers de sa loupe qu’il regarde le monde et par la voix qu’il essaye de comprendre cet univers qui l’entoure de ses bruissements. Construit comme un labyrinthe, le roman de Tomás González nous conduit jusqu’au plus intime d’un homme qui observe la vie en train de s’enfuir. Jacobo, son fils aîné, souffre le martyre depuis un accident de voiture. Il part pour l’Oregon afin qu’un médecin abrège ses souffrances, accompagné de son frère Pablo. Jacobo veut mourir malgré les massages de Venus, malgré l’amour infini de ses parents. Tomás González nous emmène, nous conduit, nous apprend à voir ce qui ne peut se dire, même aux amis. Alors on prétexte un voyage à Miami entre les deux frères, ce Miami que David n’a jamais aimé. Au fur et à mesure que la rétine de David s’obscurcit, les mots se mettent en place avec douceur. Alors qu’il voit la mort envahir son entourage, il s’apaise. Et nous interroge. Ne passons-nous pas nos vies à courir après des chimères qui ne font que nous perdre ? David ne cherche pas à nous convaincre du bien-fondé de la démarche de son fils. Il ne fait que rassembler les souvenirs et nous ouvrir son grand album de famille. Mais c’est souvent le propre des grands magiciens de l’écriture, ils savent aussi peindre les émotions avec toute la tendresse de ceux qui ne peuvent plus perdre. Tout ce qui l’occupe désormais, c’est d’atteindre une certaine forme de grâce, celle qu’offrent parfois les mots, certains gestes, certains paysages dont il se souvient plus qu’il ne les voit encore. Et les voix, celle notamment de Jacobo une fois arrivé à Portland, au bout de son chemin de souffrance. Dans une langue sobre et dépouillée, Tomás González écrit un livre uniquement dicté par la grâce et la magie de la vie, celle qu’il cherche certainement aussi aujourd’hui à Cachipay et qui doit bigrement ressembler à La Mesa de David. Un livre admirable de maîtrise et de douceur. Un roman où puiser jusqu’à l’infini cette paix dont nous sommes tous en quête et que nous ne savons jamais vraiment où trouver. Lisez Tomás González, c’est merveilleux !

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