Littérature étrangère

Norman Rush

Corps subtils

illustration

Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Quand Douglas meurt un peu bêtement, renversé par son tracteur-tondeuse, les vieux amis d’université débarquent chez lui pour préparer les funérailles. Ah, les vieux amis, toujours s’en méfier, car c’est là que ça se gâte !

C’est ici, dans les Catskills, près de Woodstock, que Douglas était venu vivre, et c’est ici que ses amis de l’université de New York, la bande de Douglas, vient lui rendre un dernier hommage, dans cette somptueuse propriété au milieu des bois. Il y a Ned, Joris, Gruen, et Nina la femme de Ned qui tente désespérément d’avoir un enfant. Il y a Yva, la veuve de Douglas. Il y a ce temps incompressible du deuil, ces moments où les vieux copains se souviennent et cela devient insupportable pour les autres, ceux qui ne l’ont pas vécu. Dans ces moments de l’entre-deux, en 2003, il y a la guerre contre l’Irak qui vient polluer les discours. Ned n’a jamais renié ses sentiments antimilitaristes. Il tente de convaincre Joris et Gruen de signer une pétition. Il tente surtout de renouer avec ces idéaux, que les autres ont abandonné sur le quai du pragmatisme. Ils sont là, ces « Corps subtils », ces chakras cachés dans les dialogues, dans les gestes, les attitudes des personnages qui se cachent, se perdent en attendant les funérailles du grand homme. Les langues se délient… Tu parles d’un grand homme, on dit qu’il aurait pu faire partie de... La mort produit de l’envie, des désirs. Alors oui, qui était véritablement Douglas ? Dans cet air connu des amis qui se retrouvent au décès de l’un des leurs, Norman Rush s’amuse à une critique de la société américaine, celle des intellectuels qui fabriquent du bon sentiment à peu de frais. Dans cet univers clos, chacun avance ses pions, tente de refaire une partie du monde, mais plus de vingt ans après leur passé commun, les amitiés s’effritent, les discours se figent. Comédie douce amère, Corps subtils en dit plus sur l’Amérique bien-pensante que nombre d’articles de presse. Et c’est dans l’acide que se révèlent les plaques des graveurs autant que les vérités.

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