Littérature française

Amina Richard

Portrait en noir et blanc

L'entretien par Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Des années 1970 jusqu’à nos jours, c’est l’histoire d’une enfant métisse qui cherche à réunir les fils de son histoire. De la France au Sénégal, la narratrice part en quête de son père, et surtout d’elle-même. Un premier roman lumineux.

Quand vous êtes-vous décidée à poser sur le papier ce roman qui devait cheminer en vous depuis longtemps ?

Amina Richard - C’est effectivement un roman que je portais en moi depuis longtemps. C’est un roman qui raconte une quête initiatique, celle d’une jeune femme qui part à la recherche de son père au Sénégal. Elle a été élevée dans la France des années 1970 par sa mère blanche. Elle était seule à être noire, elle n’a jamais connu son père. Elle ne connaissait pas non plus d’autres noirs. Aussi a-t-elle vécu avec violence cette étrangeté d’être ramenée à sa couleur de peau. Et c’est aussi une histoire universelle. J’ai donc choisi de mobiliser l’univers du conte, à la fois dans la structure du livre et dans les références : la littérature enfantine est souvent évoquée. Aussi, quand j’ai réussi à faire la synthèse entre la quête et l’enrichissement qu’apportent les contes, il y a eu un déclic et j’ai su qu’il fallait écrire le livre de cette manière.

 

Dans cette logique de mêler le conte à la prose romanesque, vous avez inséré un petit personnage qui est toujours sur votre épaule et qui s’appelle Ndiolé. Pouvez-vous nous dire qui il est ?

A. R. - Le thème de l’enfance est très important pour moi, celle qui ne meurt jamais. Je pense qu’on la garde en nous et qu'elle nous permet de renouveler notre énergie, notre pureté. Au moment où l’héroïne part à la recherche de son père, s’invite dans le voyage cette petite fille qu’elle a été ou celle qu’on n’a pas laissé être. Elle s’appelle Ndiolé, elle a 4 ans, elle est très têtue, elle est pleine d’attentes irréalistes par rapport à son père. Elle veut qu’on la porte, elle est très encombrante, mais c’est elle le moteur de la quête, qui va pousser l’adulte à l’action. C’est un des enjeux de l’histoire, la relation entre ces deux personnages, comment elles vont s’entendre ou pas, comment elles vont évoluer.

 

Vous allez découvrir que votre père a fondé une famille, qu’il a d’autres enfants, que vous avez des oncles, des cousins, mais vous ne maîtrisez pas les codes de l’Afrique. Comment avez-vous vécu cette fracture entre vos deux mondes ?

A. R. - Quand elle arrive au Sénégal, elle va rencontrer son père, une personnalité introvertie. C’est un scientifique, un haut fonctionnaire : il ressemble donc à tout sauf à une caricature du bon noir jovial. C’est cette représentation-là qu’elle avait en tête avec sa culture occidentale, française qui se heurte en permanence à la réalité de l’Afrique. C’est pour ça que, dans le texte, on va trouver aussi bien des taxis-brousse qu'Abel et Caïn ou encore Bambi. Il y a une sorte de télescopage permanent des cultures. Elle a en tête des images de cartes postales de villages et se retrouve face à une famille de citadins aisés qui sont médecins, consultants internationaux. Ils sont même socialement supérieurs à elle. Ce qui m’intéressait aussi était le thème de l’identité, comment elle se construit, jusqu’à quel point on peut en rassembler des bouts épars. Et surtout peut-on la dépasser ? Est-ce qu’on se résume à là où on est né ? N’y a-t-il pas d’autres choses, aussi ?

 

Au fur et à mesure du texte, l’écriture change de ton, comme si les découvertes de l’Afrique finissaient de polir le caillou brut qu’est Ndiolé.

A. R. - Comme dans les contes, je crois qu’on ne perd jamais l’espoir qu’il y aura une fin heureuse car ce qui importe, c’est ce qu’on gagne à la fin. Et sa colère initiale sera changée par ce voyage. On le ressent d’ailleurs dans l’écriture : la colère du début va doucement se muer en un apaisement et une forme de réunification. Ce n’est pas un hasard si j’ai voulu rendre hommage aux contes de mon enfance, parce que c’est par ce biais que l’enfant qu’elle est va se nourrir, qu’elle va trouver son identité, dans la langue, dans l’écriture. Le trajet de l’héroïne est celui de la haine de soi à l’amour, tant l’amour qu’on lui porte que celui qu’elle a pour son père finalement. Elle est cette petite fille qui va grandir et comprendre. Grâce aussi à sa famille africaine, elle va accepter le fait d’être noire et elle va pouvoir recomposer sa perception d’elle-même.

 

À propos du livre
C’est une petite fille comme toutes les autres. Sa mère lui lit l’histoire du soir afin qu’elle puisse s’endormir et faire de beaux rêves. Sa mère toujours, car son père n’est pas là, n’a jamais été là. La petite fille va grandir, va apprendre que son père est reparti dans son pays bien avant sa naissance. Comme dans les contes, elle va inventer un lutin, Ndiolé, une petite fille turbulente qui va l’accompagner jusqu’au royaume lointain. Dans cette quête initiatique, la petite fille devenue femme va se confronter à un monde inconnu, une famille qu’elle ne soupçonnait pas, mais comme on ne connaît la fin du conte qu’à la toute dernière page, Ndiolé sera-t-elle là à attendre une histoire de princesse ou de grand méchant loup ? Qui sait ?