Beaux livres

Christophe Adam

Caramel

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Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Prenez trois des plus grands stylistes de la pâtisserie, laissez-les s’exprimer, enlevez toutes les barrières des conventions de la crème anglaise et du Paris-Brest. Oui, laissons-les donner du sens à l’idée même qu’il n’y a qu’une seule recette, celle qui laisse les papilles exsangues…

Cher Alexis, Tu n’étais pas né et je faisais déjà des choux pour tes frères. Des choux à la crème, des choux glacés, des choux avec une sauce au caramel au beurre salé, et c’était le dernier dimanche avant Noël. C’est devenu plus qu’une habitude, une certaine forme d’obligation, un plaisir, surtout, qui m’empêche de tout sacrifier à l’autel de la consommation. Le dernier dimanche avant Noël, je fabrique du sens pour mes enfants. Et cette année, j’ai trois fois plus de sens, trois fois plus de raisons de fermer la boutique, d’astiquer les casseroles… Dans ces trois livres qui sont venus comme autant d’envies de me gaspiller les soirées à tenter, croquer, cuire et mettre le nez dans le four, craindre la cuisson qui va trop loin, juste tenter de reproduire votre brio et aussi, comment dire, un peu de votre folie. Quand Philippe Conticini dit « Choux », c’est une visite de la pâte à choux qui ne s’imagine pas. Il se rebelle contre l’idée que nous avons tous qu’elle se malaxe en dehors du feu, car elle peut se travailler de tant d’autres façons. Le chou n’est pas toujours là où on l’attend. Le chou a son caprice, il peut se conjuguer presque pâte crue, cuite ou pochée, frite aussi, pourquoi pas. Mais chez ce fabriquant d’espaces infinis, le chou peut être, par exemple, « Chausson ananas coco et pâte à choux ». Philippe Conticini offre bien davantage qu’une visite de la pâte à choux ! Quand on a expérimenté ce « sablé de sarrasin moelleux, citron et cacahuètes caramélisées », on se dit : le voilà ce fameux, ce mythique, cet inaccessible petit Jésus en une culotte de velours, comme aurait dit mon grand-père ! On ne présente plus Pierre Hermé, cet ambassadeur de la pâtisserie française dans le monde. Il est de ceux qui savent conjuguer excellence et inventivité, car dans ce Macaron qu’il nous présente, il y a bien plus que des recettes, il y a une histoire, celle de l’origine de ce macaron que tout le monde s’arrache. Nous savons tous, pour l’avoir vérifié, que la coque du macaron est coquine à travailler. Elle ne se laisse pas faire, elle argutie, se cache, tombe quand on voudrait qu’elle se fige, bref elle nous emm… Mais là où le pâtissier est malin, c’est qu’il nous entraîne dans des directions que nous n’aurions pas choisies, tel ce macaron Indulgence aux petits pois frais et à la note mentholée. C’est une fraîcheur inattendue, juste gourmande. Breton et caramel au beurre salé, n’est-ce pas redondant ? Quand est arrivé ce livre sublime de Christophe Adam à la librairie, je l’ai tourné, retourné, j’avais presque envie de corner toutes les pages, j’avais le goût à la bouche, la couleur dans les yeux, le bruit du caramel qui se fend à l’oreille. Il y a du brun, de l’ocre et de la Terre de Sienne dans ce magnifique ouvrage qui parle bien plus que de caramel. Il nous ramène à notre enfance, à nos caramels mous, à nos Carambars, aux crèmes brûlées de nos grands-mères. Comment vous dire, jamais personne n’avait été aussi loin dans la recherche du caramel, jamais personne n’avait réussi à percer ce miracle de l’agrégation du sucre, de l’eau, du beurre… et de bien d’autres choses. Car tout cela ne s’improvise pas, il faut tenir la température, tenir la cuillère en bois, malaxer dans le cul de poule. Surtout, quand il est question de caramel, observer la couleur, ne pas laisser le blond partir en brun, garder l’œil sur la casserole, touiller, aimer ce qu’on fabrique, lire Christophe Adam, tourner les pages, se laisser emporter par la splendeur d’une image, taper la casserole sur le feu, mettre à petits bouillons, entendre chanter le sucre, laisser les enfants rire et finir par leur donner à lécher la cuillère. Trois livres, comme trois moments d’exception qui sont des points d’exclamation sur cette idée très simple que l’on vit comme on mange, qu’il est possible de trouver un chou au caramel au beurre salé qui se cache dans un macaron… Qui t’interdit de rêver, mon Alexis ?

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