Littérature française

Jérémy Fel

Helena

illustration

Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Commencer un roman quand on sait que la nuit ne suffira pas, les pages s’enroulent comme le long ruban d’asphalte d’une autoroute. Dans la radio, une basse égrène son tempo de migraine. Vous venez de commencer Helena. La nuit sera longue.

Connaissez-vous le poids d’un coup de poing, le poids d’un coup de mots ? Le poids des his- toires anciennes qui suintent tout au long des rues proprettes de cette belle ville d’Emporia ? Comme une araignée tisse sa toile, Jérémy Fel nous conte un puzzle imparfait de drames qui viennent se cogner les uns contre les autres, mais qui s’emboîtent dans la même fureur. Quand l’écrivain recoud les pans d’un arlequin sanglant, on termine le roman dans une apnée qui nous tient debout, abasourdi et bouleversé de croire que tout cela s’est peut-être passé juste en bas de chez nous.

 

PAGE - Le premier chapitre d’Helena est hallucinant. On devine que ce roman va nous empêcher de dormir. Un peu comme l’ouverture d’un opéra. Avez-vous eu conscience, en l’écrivant, de sa force sur l’inconscient du lecteur ?
Jérémy Fel - Le premier chapitre sert, à mon sens, à installer une sensation immédiate de danger. On suit ensuite des personnages dans leur vie de tous les jours, mais on sait, grâce à ce chapitre, que quelque chose de terrible va advenir, comme une sorte d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes. En effet, je voulais qu’il agisse fortement chez le lecteur, de façon très physique, et reste prégnant dans son esprit assez longtemps pendant le début de sa lecture.

P. - L’action de votre roman aurait-elle pu se passer ailleurs qu’aux États-Unis ?
J. F. - Un drame familial comme celui-ci pourrait se passer ailleurs qu’au Kansas, évidemment, mais quand j’ai lu De sang froid de Truman Capote, je me suis dit que c’était le décor idéal pour une histoire comme celle-ci. Je suis un très grand lecteur de littérature américaine. Comme dans mon premier roman, il y avait ce désir de situer l’action dans un endroit que j’ai envie de décrire, que je fantasme et que j’ai aussi l’impression de connaître. Le Magicien d’Oz est également très présent dans ce livre, il n’y a pas de hasard.

P. - Helena est également un livre très cinématographique. On ne peut s’empêcher de penser à David Lynch. Comme lui, vous faites surgir l’extraordinaire de personnages ordinaires. Comment les avez-vous pensés ?
J. F. - J’avais envie qu’on puisse s’identifier à tous les personnages, même s’ils peuvent être amenés à faire des choses terribles. Je voulais que le lecteur puisse se demander, tout au long du roman : « Qu’aurais-je fait à la place de Norma, de Graham ou d’Hayley ? ». Mon but le plus « inavouable » est de confronter mes lecteurs à leur part sombre, comme je me confronte constamment à la mienne pendant l’écriture. Personnellement, je me sens toujours très proche des personnages que je crée. Ils sont tous, du moins je l’espère, ambivalents, et basculent constamment entre deux pôles, « humains, trop humains ».

P. - Les pères sont soit morts, soit absents. Aviez-vous conscience, en commençant le roman, qu’ils auraient pourtant une importance immense dans le destin des personnages ?
J. F. - En fait, je n’écris jamais en pensant à un thème défini, je ne me dis jamais que je vais écrire un roman sur tel ou tel sujet. Pour Helena, je me suis rendu compte au bout de 700 pages de ce qui se dégageait comme thème principal du roman. Quand je commence à écrire, je pars généralement d’une image, d’une musique, d’un visage, c’est toujours très visuel, et cela amène d’autres scènes que je tente de maîtriser. Je suis aussi lecteur de ce que j’écris, j’avance à tâtons. Je ne me suis jamais dit que ce roman serait une radiographie du mal ou une exploration du thème de la transmission mère-enfant. Les choses apparaissent d’une façon réellement inconsciente. Comme les scènes de cauchemars qui parsèment le texte. Et comme l’inconscient est extrêmement construit, au final tout fait sens.

P. - Plus on avance dans le roman, plus on est entraîné vers une certaine fascination du mal, peut-être parce qu’on se dit qu’on aurait suivi la même pente ?
J. F. - Oui, je pense que quoi que puisse faire l’homme – et il est capable de beaucoup de choses – on ne doit jamais oublier que, dans les mêmes conditions, nous aurions pu faire la même chose. C’est toujours très facile de juger les autres quand on n’est pas soi-même confronté à des situations insoutenables qui ne nous laissent jamais le temps d’avoir assez de recul pour agir sereinement.

P. - C’est un roman qu’on ne peut pas lâcher, tellement les personnages s’incrustent en nous, lecteurs. Quel est votre secret ?
J. F. - Je dis souvent que j’ai envie de prendre le lecteur par la main. Et, sans qu’il s’en rende compte, ma main lui attrape la nuque, la serre et ne la lâche plus. C’est une image, rassurez-vous, je suis doux comme un agneau dans la vie de tous les jours ! C’est plutôt une invitation, même si ferme, à me suivre, à entrer de plain-pied dans mon univers. Captiver le lecteur, lui faire vivre une succession d’émotions fortes est pour moi le plus important. La lecture doit être constamment physique puis, une fois la dernière page tournée, déboucher sur des réflexions diverses. C’est en tout cas ce que j’aime ressentir moi-même en temps que lecteur. Quand j’écris, je suis dans une sorte d’apnée, d’urgence, que j’aime faire ressentir au lecteur à son tour. Tout comme mes propres cauchemars, c’est la moindre des choses.

 

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4-sept.-2018 à 19h, au Silencio 142 Rue Montmartre, 75002 Paris
5-sept.-2018 à 18h30 à la Librairie de Paris - 7 Place de Clichy 75017 Paris
Du 7-sept.à 8-sept.-2018, au Salon LE LIVRE SUR LA PLACE - NANCY
Du 14-sept. au 16-sept.-2018, au Salon LIVRES DANS LA BOUCLE - BESANCON
16 sept., au FORUM FNAC LIVRES
18 sept. à 18h, à la Librairie L'Armitière 66 rue Jeanne d'Arc 76000 Rouen
20 sept. à 18h30, à la Librairie Le Furet du Nord, Conservatoire de Lille, Rue Alphonse Colas - Lille
22-sept.-2018, au FESTIVAL AMERICA – VINCENNES
Du 21-sept.au 23-sept.-2018, aux RENCONTRES DE BASTIA
26-sept.-2018 à 18h, à la Librairie La Galerne - 148 rue Victor Hugo - Le Havre
27-sept.-2018 à 19h, à la Librairie Folies d'encre - 3 rue Henri Maillard - Gagny
29-sept.-2018 à 11h, à la Médiathèque de Meudon et la Librairie Les Petits Mots -160 rue de Paris - Meudon
3-oct.-2018 à 17h, à la Librairie L'Oiseau moqueur - 34 rue du Moutier - Sucy-en-Brie
5 oct. à 18h, à la Librairie Les Extraits - 43 rue du Château – Rueil-Malmaison
Du 6-oct. au 7-oct.-2018, au Salon LA 25° HEURE DU LIVRE DU MANS
Du 12 oct. au 14 oct.-2018, au Salon LA FETE DU LIVRE DE SAINT-ETIENNE
11-oct.-2018 à 19h, à la Librairie Les Mots & les choses - 30 rue de Meudon 92100 Boulogne-Billancourt
17-oct.-2018, à la Librairie La Machine à lire - 8 place du Parlement - Bordeaux
18-oct.-2018 à 18h, à la Librairie Tonnet - 3 bis place Marguerite Laborde - Pau
19-oct.-2018 à 19h, à la Librairie La Pléiade - 6 avenue Auguste Renoir - Cagnes-sur-Mer
24-oct.-2018, à la Librairie Saint-Christophe - 11 rue du général de Gaulle - Lesneven
25-oct.-2018, à la Librairie Livres in Room - 29 rue du Général Leclerc - Saint-Pol-de-Léon
26-oct.-2018, à la Librairie Gwalarn - 15 rue des Chapeliers - Lannion
11-nov.-2018 à 10h, à la Librairie Lu&Cie - 18 avenue Jean Jaurès - Suresnes
16-nov.-2018 à 18h, à la Librairie l'Ecritoire - 30 Place Notre Dame Semur en Auxois
17-nov.-2108 à 18h30, à la Librairie l'Autre monde - 42 Grande Rue Aristide Briand - Avallon
23-nov.-2018 à 19h30, à la Librairie Le Livre & la Tortue - 47 Esplanade du Belvédère - Issy-les-Moulineaux
Du 24 nov. au 25 nov.-2018, au Salon RADIO FRANCE FÊTE LE LIVRE – PARIS
30-nov.-2018 à 18h30, à la Librairie La tâche noire - 1 rue de Zurich // Entrée quai des bateliers Strasbourg

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