Littérature française

Yves Pagès

Souviens-moi

illustration

Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Les arcanes de la mémoire sont étranges. Que ce soit dans Souviens-moi d’Yves Pagès ou dans Les Absents de Georgia Makhlouf, les auteurs écrivent le passé pour ne jamais rien oublier, ni les lieux, ni les gens, ni les faits.

Yves Pagès est un incorrigible amoureux des mots. Dans cette accumulation de fragments qui s’enchaînent sans ordre apparent, c’est à la mémoire de son propre temps qu’il nous convie. Des années 1960 jusqu’à aujourd’hui, il exhorte à « ne pas oublier », car rien n’est pire que l’oubli. À la manière du Petit Poucet, il reconstitue le fragile des souvenirs, ceux dont on est sûr, ceux aussi qu’on nous a racontés, ceux qui n’ont d’intérêt que pour lui et qui, pourtant, parviennent à nous bouleverser. Il raconte également le temps qui avance à grands pas et fauche les amis, les photographies instantanées, ramenées subitement au visage et prêtant à sourire parce que nous avons été amoureux des mêmes filles, parce que nous avons chanté sur les mêmes chansons et raté les mêmes trains. C’est un puzzle magnifique qui s’ouvre à n’importe quelle page, car la mémoire n’aime pas les tiroirs. La mémoire de Georgia Makhlouf est cachée dans des carnets d’adresses. Chaque période de sa vie est balisée par des répertoires qui lui évoquent des noms, des visages, des odeurs. C’est en les feuilletant qu’elle se remémore l’enfance beyrouthine, cette ville qui, avant la guerre civile, avait quelque chose du paradis parce que différentes communautés y vivaient en harmonie et dans le respect mutuel. En brossant les portraits de ses amis, connaissances vagues dont on n’a que le numéro de téléphone, amants, bonne à tout faire, colocataire (ah, Angela !), Georgia Makhlouf restitue en creux la douce empreinte de ce passé qu’elle n’arrive pas à quitter, les ravages de la guerre sur les âmes, les corps, les disparitions. C’est le voyage d’une femme qui n’a de cesse de chercher la lumière, jusque dans l’émoi d’un coup de téléphone venant du Liban, qui lui rappellera que « les guerres une fois commencées ne finissent jamais. Elles prennent d’autres visages. »

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